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la même voie au même but que les unités anatomiques, cellules, organites ou plastides.

C’est dans ces termes que les problèmes fondamentaux de la sociologie ont été agités dans plusieurs ouvrages français, celui de M. Caro : Les problèmes de morale sociale, et celui de M. Fouillée : La science sociale contemporaine. Le premier date déjà de quelques années ; il n’examine guère la question qu’au point de vue de ses corollaires moraux et politiques ; nous n’aurons à le discuter que sous ce rapport et brièvement ; le second est récent ; il aborde de front la difficulté telle qu’elle nous est apparue à nous-même ; il touche à toutes les parties essentielles de la science ; nous ne pouvons nous dispenser de le suivre pas à pas avec toute l’attention dont nous sommes capables et tout le respect que l’on doit à l’un des écrivains philosophiques qui jouit à bon droit de la plus haute faveur auprès du public français.

On sait que M. Fouillée, persuadé que les doctrines les plus divergentes en apparence contiennent dans des proportions diverses un même fonds de vérité, s’est toujours efforcé de concilier et de comprendre sous une idée plus synthétique les idées à son sens incomplètes de ses adversaires. Cette sympathie pour les idées des autres lui permet de compter sur l’assentiment de ceux qui étaient à l’origine le plus éloignés de lui, mais elle devait nécessairement le conduire lui aussi de proche en proche à des conclusions assez dissemblables de celles qu’il avait d’abord professées. D’un ouvrage à l’autre, on sent le mouvement de cet esprit plein de vie, et comme ce mouvement n’a point de soubresauts ni de retours, on peut prévoir quel en sera le terme. Hardiment, avec une confiance sereine dans la science et dans la raison, M. Fouillée marche vers le naturalisme. Il n’est point de ceux qui donnent d’une main et reprennent de l’autre ; ses résistances et ses réserves, loin d’être inspirées par quelque parti pris irréconciliable, par quelque croyance extra-scientifique qui fixe d’avance le résultat de la discussion et transforme les concessions en manœuvres de tactique, sont d’un adversaire loyal, désireux d’arriver à une entente sur le terrain de la science pure.

Il s’est introduit chez nous depuis quelque trente ans dans les discussions philosophiques une habitude déplorable. Les uns et les autres, croyants ou incrédules, nous échangeons des arguments sur des points de détails, sans déclarer nos principes généraux et sans nous en prendre aux principes généraux de l’adversaire. Il en résulte que l’on perd un temps considérable et que les discussions dépourvues d’ampleur languissent à travers d’insignifiants détails.