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A. ESPINAS. — études sociologiques en france

C’est la faute des temps. La liberté manquait. Ne conviendrait-il pas de changer de méthode ? Dès lors, si l’on discutait par exemple avec un catholique la question de l’âme des bêtes, on saurait qu’il ne peut en aucune manière accepter sur ce point, pas plus que sur les autres la doctrine évolutionniste, de même s’il s’agit de l’évolution du droit et de la moralité, ou du fondement substantiel de l’âme individuelle. Que de temps épargné ainsi ! Et comme les débats philosophiques auraient une plus grande allure !

Avec M. Fouillée on voit dès l’abord à qui l’on a affaire. C’est un esprit indépendant et que les intérêts de la science préoccupent seuls. Aussi ne désespérons-nous pas d’arriver à une entente avec lui sur les principes mêmes de la science sociale, à savoir la nature du corps social, la méthode de la science et de l’idée du droit qui en résulte. Nous lui demanderons d’aller un peu plus loin qu’il n’a fait dans notre direction ; mais, de notre côté, nous sommes disposé à le suivre dans la sienne, parce que nous savons qu’il y a pas sur ce chemin de trappes ni d’oubliettes où la raison de son lecteur risquerait de sombrer.

I

Qu’est-ce qu’une société ? En posant cette question, nous ne prétendons pas découvrir une essence métaphysique nouvelle ; notre but est simplement de déterminer à quel genre d’existences la société doit être réunie, comment et avec quels êtres il convient de la classer. C’est de cela en effet que dépend la méthode de la science sociale. Si la société est un ensemble de rapports abstraits, un groupe d’idées immobiles, la science qui s’en occupe relève de la logique déductive et devra être construite à priori ; si elle est un tout naturel, un corps vivant, des affinités étroites rapprocheront la sociologie des sciences de la vie, elle sera la dernière des sciences de la nature. La question posée est donc bien d’ordre scientifique ; si elle a été jadis considérée par les Grecs comme du domaine de la métaphysique, c’est que les Grecs avaient tort ; au fond, la mystérieuse essence, le τὸ τί, n’est pas autre chose qu’une idée générale, qu’une catégorie d’existence. Chercher l’essence, on le voit, c’est faire une opération qui n’a rien de transcendant, c’est déterminer la place d’une chose ou d’un être dans l’ensemble de nos classifications.