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c’est-à-dire que si les deux organismes, individuel et social, diffèrent en degré de complexité comme la partie diffère du tout, et même appartiennent à deux groupes très distincts, les lois générales qui les régissent sont les mêmes. En ce qui concerne notamment les fonctions de penser et de vouloir, on trouve dans la conscience sociale les mêmes groupes de phénomènes et d’organes que dans la conscience individuelle, à savoir des phénomènes et des organes d’information et de réflexion, d’une part, et d’autre part des phénomènes et des organes de réaction volontaire et de mouvement. Même : la fonction esthétique se ramène aux mêmes lois générales dans un cas et dans l’autre. Mais nous ne pouvons entrer plus avant dans les détails.

Cette assimilation implique d’elle-même les différences requises. Les membres des sociétés méritant ce nom à la rigueur, c’est-à-dire des familles, des peuplades et des nations, n’entrent dans le groupe ou n’y demeurent que parce qu’ils se représentent les avantages qui sont attachés à la vie sociale, et ce mode d’accession mérite aux groupes ainsi constitués une place à part dans la classification des existences. Nous avons insisté fréquemment sur cette considération (pages 275, 460, 463, 472, 598). Et si c’est là ce que signifie le mot organisme contractuel, nous ne voyons pas de difficulté à l’accepter. Une société, avions-nous dit, est « une conscience vivante, un organisme d’idées. » M. Fouillée la définit « un organisme qui se réalise en se concevant et en se voulant lui-même. » Il n’y a pas entre ces deux définitions de différence sensible. Et c’est aussi un point sur lequel il faut tomber d’accord, à savoir que la solidarité, la cohésion, la force de résistance et de durée de l’organisme « contractuel » sont supérieurs à celles de l’organisme à éléments agglutinés ou blastodèmes. Mais qu’on prenne garde de se laisser entraîner par cette conception jusqu’aux théories qui l’exagèrent au point de ne plus voir dans la société qu’un système d’idées claires ou de volontés formelles et explicites. Les deux doctrines que la société est un organisme et que la société est un système de rapports idéaux, un groupe de syllogismes conçus par ses membres, s’étant développées historiquement en opposition mutuelle présentent en effet quelques affinités ; on peut tendre à les concilier, comme l’a fait M. Fouillée ; on doit néanmoins se souvenir que ce sont deux extrêmes et que, elles ne peuvent être vraies à la fois sous la forme d’énonciations absolues. Pour s’entendre l’un avec l’autre, le sociologue biologiste et le politique logicien doivent reconnaître l’un l’empire de l’idée dans les faits sociaux les plus obscurs, l’autre le caractère concret des idées ou de l’idée sociale, laquelle est inhérente à des sujets