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A. ESPINAS. — études sociologiques en france

progrès nécessaires. Ainsi il serait possible que la différence essentielle entre le cerveau individuel et le groupe pensant dans la société ne soit pas seulement le groupement immédiat ou juxtaposition des cellules cérébrales, immobiles dans un cas, et la dissémination des hommes pensants, restant libres dans l’autre, mais qu’elle consiste surtout en ce que les cellules cérébrales, une fois produites, restent en même nombre pendant toute la vie de l’individu, qui mourrait quand elles meurent, tandis que les citoyens pensants de l’organisme social, lequel est composé de familles aptes à la reproduction, se remplacent indéfiniment les uns les autres et assurent ainsi au corps de la nation une existence prolongée. Des physiologistes distingués inclinent à croire à la permanence des cellules nerveuses pendant toute la vie individuelle ; mais aucune preuve expérimentale ne nous autorise jusqu’ici à rien affirmer sur ce difficile sujet. D’autre part, la sociologie requiert une étude anatomique complète des diverses parties de l’organisme collectif ; on ne voit pas bien en général par quel ensemble d’organes une conscience sociale se constitue, ni quel rôle respectif jouent dans la fonction considérée l’opinion populaire, la presse, les corps élus, les écrivains et les professeurs de tout ordre, enfin l’administration ou le gouvernement. Schœffle a pourtant essayé de donner une forme systématique à cette partie de la science dans les sections IV et V de son premier volume sur La structure et la vie du corps social. On parle beaucoup de cet auteur chez nous ; qui le lit ? Son analyse est conçue dans un tout autre esprit que les études similaires faites chez nous ; nos philosophes s’en tiennent d’ordinaire, comme nous le faisons nous-même ici, et parce que la sociologie comme science d’observation n’est pas encore reconnue, à des discussions générales ; ils goûteraient peu cette aride dissection de tous les éléments formateurs de la conscience nationale ; bon gré mal gré, il en faudra venir là tôt ou tard, et le mieux sera que nous débutions par une traduction ou plutôt par une réduction de l’ouvrage de Schœffle, dont les proportions dépassent de beaucoup la somme d’attention que le public français accorde à ces sortes d’études.

Il est évident qu’une détermination exacte des ressemblances et des différences entre les deux organismes rapprochés ici suppose une comparaison attentive des deux termes, et que cette comparaison à son tour n’est possible que si préalablement les deux termes ont été étudiés d’une manière exacte. Nous sommes convaincu que ceux de nos lecteurs qui auront le courage de lire l’étude de Schœffle, sur la structure et la vie du corps social reconnaîtront sans difficulté que cette structure et cette vie sont organiques à la rigueur,