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large, bien près d’être vague et indéterminé. « Le fond commun dont le mouvement et la sensation semblent deux modes est la force, ou pour mieux dire la volonté qui fait le fond de toute existence[1]. » Il faut avouer qu’il est difficile de se faire une idée nette de ce qu’est la volonté chez la plante, encore plus de ce qu’est la volonté chez le minéral. On obtient ainsi une synthèse fort étendue et séduisante en effet par son ampleur. « Pour quiconque n’admet pas le miracle, c’est-à-dire pour quiconque admet la science, la vie ne peut donc être métaphysiquement différente de ce qu’on appelle avec plus ou moins de propriété la matière, qui elle-même n’est sans doute qu’un ensemble de forces et de volontés : tout est vivant, tout est organisé, tout est à la fois individu et société dans l’univers. Biologie, sociologie et cosmologie nous paraissent au fond une seule et même science. » Par ce coup d’aile, M. Fouillée, qui avait peine tout à l’heure à nous accorder que la société est individuelle, se trouve soudain emporté bien au delà des régions modestes où nous nous sommes tenu. Il n’y a là rien qui puisse effrayer, comme extension d’une même idée, les partisans de la doctrine évolutionniste, pour qui toutes les existences sont soumises à la même loi de différenciation et d’unification. Mais il s’agit de savoir si l’idée qui sert à cette synthèse est de nature à se prêter à une extension aussi énorme. Qu’on dise qu’il y a de la volonté dans les animaux inférieurs et même dans les plastides, comme il semble qu’il y en ait chez les infusoires, cela ne choque pas trop les habitudes de l’esprit ; mais c’est faire violence aux mots que de dire : l’essence de la molécule chimique est le vouloir. À vrai dire, le vouloir ne paraît pas plus l’essence de la conscience humaine qu’il n’est celle de la chaleur et de l’attraction : c’est tout simplement un groupe particulier de phénomènes psychiques, dans lequel on peut placer toutes les modifications de la pensée tendant à l’action, c’est-à-dire au mouvement. Il a dans ce groupe des représentations claires, il y’a aussi beaucoup de représentations confuses, de ce qu’on appelle des velléités, des tendances, des impulsions instinctives. C’est le côté obscur de ces phénomènes qui leur a valu l’honneur d’être érigés en réalités métaphysiques, sous le nom unique de volonté. L’analyse a décomposé aux yeux de plusieurs philosophes cette prétendue essence en un agrégat assez mêlé de faits de représentation ; il en sera de même, entre parenthèses, nous en sommes convaincu, de l’idée de force, résidu des conceptions anthropomorphiques que se faisaient du mouvement sous ses manifestations diverses les anciens métaphysiciens.

  1. P. 195.