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L’animal serait ainsi incessamment renseigné sur les déplacements de sa tête dans chacun des trois plans perpendiculaires ; et, en outre, la tête se trouvant dans sa position normale et orientée dans le même sens, sur l’intensité des actions magnétiques. Ces sensations, ordinairement inconscientes, comme un grand nombre d’impressions kinesthétiques[1], seraient peut-être, comme elles, susceptibles d’éveiller dans quelques cas un certain degré de conscience, comme tendent à le prouver quelques faits rapportés plus haut. Elles seraient évidemment capables de nous donner les renseignements pour lesquels M. Brown a imaginé son sens de rotation ; et pourraient ainsi concourir à former notre notion de l’espace — (sens de l’espace, de Cyon). Enfin leur inversion brusque et fréquemment répétée entrerait sans doute comme facteur dans les phénomènes de vertige.

Si en effet notre théorie est exacte, à chaque révolution complète dans un des trois plans des canaux, il y a inversion des courants et retour à l’état primitif ; et ces variations, se succédant fréquemment, doivent être susceptibles de déterminer une perturbation particulière, qui ne s’arrêtera point au bout de quelques tours, comme dans les autres théories, mais se prolongera pendant tout le temps de la rotation ; et devra, dès lors, donner des effets proportionnels à sa durée.

Dans les expériences que j’ai faites sur les pigeons et les lapins, il m’a semblé, en effet, que l’on pouvait en quelque sorte dissocier les phénomènes de vertige. Dans le cas de rotation rapide avec arrêt brusque, et les yeux ouverts, on a le vertige maximum, que je désignerai provisoirement sous le nom de vertige total : c’est le vertige de Purkinje. Si la rotation est moins rapide et la mise en mouvement graduelle, et si l’arrêt ne se fait point d’une manière trop brusque, en un mot si l’on élimine autant que possible les effets de la force centrifuge, c’est le vertige visuel qui paraît le plus net ; et je me rallierais, pour ce genre de vertige, à la théorie développée par M. Brown[2] ; mais, si l’on couvre les yeux de l’animal, la manœuvre restant la même, c’est-à-dire en éliminant le vertige centrifuge, il

  1. Ou impressions du sens de mouvement. J’emploie ce terme dans la signification où il a été pris par M. Bastian, ouvrage cité, vol. 2, p. 165.
  2. Nature, 17 octobre 1878. On pourrait observer ce vertige indépendamment de tout autre en laissant l’animal immobile, et faisant tourner la boîte où on le renferme ; mais il faudrait qu’il ne restât aucun autre point fixe dans la boîte et que la lumière fût strictement verticale. C’est à ce genre de perturbation que peuvent se rapporter les vertiges qu’éprouvent certaines personnes en regardant des objets en mouvement, comme les flots de la mer, les eaux d’une rivière, etc., ou même certaines surfaces bariolées de couleurs vives.