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JANET. — un précurseur de maine de biran

dans les parties affectées ; pour cela, je pris sa main sous la couverture de son lit, je pliai et pressai fortement l’un de ses doigts : ce qui lui fit jeter un cri ; en ayant fait autant à chaque doigt, il sentit chaque fois une douleur très vive, mais il ne savait où la rapporter. Je mis ma main dans la sienne, je sentis alors une légère compression de tous ses doigts à la fois ; je le priai de me presser d’un tel doigt en particulier, mais tous ses doigts agissaient en même temps. Il me dit qu’en voyant sa main peut-être il s’en acquitterait mieux ; en effet, dès qu’il l’aperçut, non seulement il fléchissait beaucoup mieux les doigts, mais il les pliait assez bien l’un sans l’autre. Ayant fait souvent et pendant plusieurs jours les mêmes essais et s’étant fait plusieurs fois serrer les doigts sous ses yeux, il parvint, quoiqu’on lui couvrit la main, à mouvoir parfaitement les doigts l’un sans l’autre et à rapporter la douleur justement au doigt pressé. » On voit que dans ce passage, que Maine de Biran n’a jamais cité textuellement, les deux philosophes n’ont pas eu en vue la même conclusion. Maine de Biran s’est surtout occupé de la localisation de la sensation, dont le souvenir était perdu par la disparition du mouvement volontaire, Il tirait de là naturellement la justification de sa thèse favorite à savoir que c’est le mouvement volontaire et l’effort, qui nous sert à localiser la sensation et qui change la sensation en perception. Mais, pour Rey Régis, le fait avait un autre sens. Cet exemple lui paraissait de nature à prouver que la vue contribue à la précision et à la direction du mouvement de nos organes, que l’instinct n’y suffit pas et que le sentiment perdu du mouvement local peut se retrouver par l’exercice de l’effort volontaire lié aux perceptions de la vue. Au reste, que la vue contribue à la précision des mouvements, c’est ce qui résulte de ce fait bien connu que, dans l’obscurité, nos mouvements sont beaucoup plus vagues et plus incertains. Mais ce que Rey Régis concluait surtout du fait précédent, c’est que « dans ces sortes de paralysies, l’âme perd la connaissance et le souvenir de la force motrice, de la proportion de son effort au mouvement requis ; elle oublie surtout la façon dont il faut appliquer son effort justement à l’organe qu’elle a en vue. » Toute paralysie ne serait donc qu’un défaut de mémoire ce que nous appellerions aujourd’hui un fait d’amnésie.

Il y a cependant des mouvements que nous pouvons régler sans l’intervention de la vue, par exemple les mouvements de la voix. Cela vient, dit Rey Régis, de ce qu’il y a une sorte de prononciation intérieure, d’articulation cérébrale, qui précède et détermine le mouvement local. « Lorsque nous voulons prononcer une parole, dit-il, l’idée de cette parole vient d’abord se présenter à l’esprit ; l’ha-