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s’était-il distingué et séparé de Condillac ? En faisant remarquer l’importance de ce qu’il appelait « la sensation de mouvement » ; en instituant, comme origine à l’idée d’extériorité, non les sensations visuelles, mais le fait da mouvement. Il n’insistait pas, comme Rey Régis, sur la sensation d’effort ; mais il opposait le mouvement aux autres sensations. C’est de là que Biran est parti ; et cette origine, il ne l’a jamais niée. Tout son mémoire sur l’habitude repose sur l’opposition de la motilité qui est active et de la sensibilité qui est passive. Or, en approfondissant cette distinction, ne rencontrait-on pas nécessairement la notion d’effort musculaire comme caractéristique de la faculté motrice ? Etait-il nécessaire d’emprunter ce fait à un autre penseur, quand on y était soi-même conduit si naturellement par la suite de ses pensées ? Que Biran ait ensuite rencontré cette doctrine dans Rey Régis et que, ayant conscience de sa propre indépendance et de l’originalité de son propre point de vue, il ait craint de la compromettre aux yeux da lecteur en citant une autorité antérieure si conforme à sa pensée, c’est là peut-être une faiblesse qui peut mériter quelque blâme ; mais ce ne serait pas un plagiat dans le sens propre du mot[1]. Je ne puis pas croire que les choses se soient passées autrement. Tout au plus pourrait-on admettre que le livre de Rey Régis a été un stimulant qui a réveillé chez Biran la conscience de son propre point de vue et l’a amené à se séparer de ses maîtres les idéologues ; mais nous n’avons aucun fait, aucun témoignage qui nous permette d’affirmer cette conjecture. Le journal manuscrit de Maine de Biran, publié par M. Naville, offre précisément une lacune à l’époque où a dû se former sa pensée fondamentale. Quoi qu’il en soit, il nous a semblé que, sans nuire en aucune façon à Biran, il n’était que juste de faire la part de son prédécesseur. L’un restera en possession de sa gloire comme fondateur d’une grande et originale doctrine philosophique ; l’autre sera un des promoteurs et préparateurs de cette doctrine ; il comptera comme un des moyens termes qui unissent et distinguent à la fois la philosophie du xviiie siècle et celle du xixe. Aux noms de Lignac, Mérian, Engel et autres auteurs peu connus que Biran a cités, on devra ajouter le nom de Rey Régis. Il aura aussi sa place dans l’histoire de l’animisme « et dans la psychologie de la vision.

Paul Janet.
(de l’Institut.)

  1. N’oublions pas non plus que Maine de Biran, qui reconnaît expressément dans son Journal la coopération d’Ampère à leur doctrine commune (p. 130), n’a cependant jamais cité Ampère dans aucun de ses ouvrages, l’explique le fait de la même manière que pour Rey Régis.