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par remuer simplement les lèvres, exprimant leurs idées par une sorte de mussitation. »

Pour terminer, notons les cas où l’affaiblissement de la volonté confine à l’anéantissement. Lorsqu’un état de conscience permanent et qui s’impose est accompagné d’un sentiment de terreur intense, il se produit un arrêt presque absolu, et le malade paraît stupide, sans l’être. Tel est ce cas rapporté par Esquirol d’un jeune homme qui paraissait idiot, qu’il fallait habiller, coucher, nourrir et qui, après sa guérison, avoua qu’une voix intérieure lui disait : « Ne bouge pas ou tu es mort[1]. »

Guislain rapporte aussi un fait curieux, mais où l’absence de documents psychologiques laisse dans l’embarras et ne permettrait qu’une interprétation équivoque. « Une demoiselle, courtisée par un jeune homme, fut atteinte d’une aliénation mentale dont on ignorait la vraie cause et dont le trait distinctif était une forte opposition de caractère qui ne tarda pas à se transformer en un mutisme morbide. Pendant douze années, elle ne répondit que deux fois aux questions : la première fois, sous l’influence des paroles impératives de son père ; la seconde, à son entrée dans notre établissement. Dans les deux cas, elle fut d’un laconisme étrange, surprenant. »

Pendant deux mois, Guislain se livra à des tentatives répétées pour amener la guérison. « Mes efforts furent vains et mes exhortations sans effet. Je persistai, et je ne tardai pas à constater un changement dans les traits, une expression plus intelligente des yeux ; un peu plus tard, mais de temps à autre, des phrases, des explications nettes, catégoriques, interrompues par de longs intervalles de silence ; car la malade montrait une répugnance extrême à céder à mes instances… On pouvait voir que chaque fois son amour-propre était satisfait du triomphe qu’elle obtenait sur elle-même. Dans ses réponses, jamais on ne remarqua la moindre idée délirante ; son aliénation était exclusivement une maladie de la volonté impulsive. Souvent une espèce de honte semblait retenir cette malade, que je commençais à considérer comme décidément convalescente. Pendant deux, trois jours, elle cessa de parler ; puis, grâce à de nouvelles sollicitations, la parole lui revint, jusqu’à ce qu’enfin de son propre mouvement elle prit part aux conversations qui s’engageaient autour d’elle… Cette guérison est une des plus étonnantes que j’aie vues dans ma vie[2]. » L’auteur ajoute que le rétablissement fut complet et durable.

  1. Esquirol, tome II, p. 287.
  2. Guislain, Ouvrage cité, tome II, pp. 227, 228.