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et revenue à une lucidité parfaite, déclare, au bout de quelques jours, qu’elle n’a aucune conscience d’avoir voulu se suicider, ni aucun souvenir de la tentative qu’elle a commise[1]. »

« J’ai vu, dit Luys, un certain nombre de malades ayant fait des tentatives réitérées de suicide, en présence de gens qui les guettaient et qui n’en gardaient aucun souvenir dans leur phase de lucidité… Et ce qui met en lumière l’inconscience de l’esprit dans ces conditions, c’est que les malades ne s’aperçoivent pas de l’insuffisance des procédés qu’ils emploient. Ainsi, une dame qui faisait des tentatives de suicide toutes les fois qu’elle voyait un couteau de table ne s’est pas aperçue qu’un jour où je l’épiais j’avais substitué à ce couteau un instrument inoffensif. Un autre malade tenta de se pendre à aide de corde à moitié pourrie, incapable de supporter une faible traction[2]. »

Chez les épileptique, les impulsions de ce genre sont si fréquentes qu’on en remplirait des pages, Les hystériques en fourniraient aussi d’innombrables exemples * elles ont une tendance effrénée à la satisfaction immédiate de leurs caprices où de leurs besoins.

D’autres impulsions ont des effets moins graves, mais dénotent le même état psychique. « Chez certains malades, la surexcitation des forces motrices est telle, qu’ils marchent des heures entières sans s’arrêter, sans regarder autour d’eux, comme des appareils mécaniques que l’on a montés. » — Une marquise d’un esprit très distingué, dit Billod, au milieu d’une conversation « coupe une phrase, qu’elle reprend ensuite, pour adresser à quelqu’un de la société une épithète inconvenante ou obscène. L’émission de cette parole est accompagnée de rougeur, d’an air interdit et confus, et le mot est dit d’un ton saccadé, comme une flèche qui s’échappe. » Une ancienne hystérique, très intelligente et très lucide, éprouve à certains moments le besoin d’aller vociférer dans un endroit solitaire ; elle exhale ses doléances, ses récriminations contre sa famille et son entourage. Elle sait parfaitement qu’elle a tort de divulguer tout haut certains secrets ; mais, comme elle le répète, il faut qu’elle parle et satisfasse ses rancunes[3]. »

Ce dernier cas nous achemine aux impulsions irrésistibles avec conscience. Pour nous en tenir aux autres, que nous pourrions multiplier à profusion, ils nous montrent l’individu réduit au plus bas degré de l’activité, celui des purs réflexes. Les actes sont inconscients (non délibérés au moins), immédiats, irrésistibles, d’une adap-

  1. Foville, Nouveau dictionnaire de médecine, art. Folie, p. 342.
  2. Maladies mentales, pp. 373, 439, 440.
  3. Luys, loc. cit., 167 et 212. Billod, loc. cit., 193 et suiv.