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RIBOT. — les affaiblissements de la volonté

tation peu complexe et invariable. Au point de vue de la physiologie et de la psychologie, l’être humain, dans ces conditions, est comparable à un animal décapité ou tout au moins privé de ses lobes cérébraux. On admet généralement que le cerveau peut dominer les réflexes pour la raison suivante : l’excitation, partant d’un point du corps, se divise à son arrivée dans la moelle et suit deux voies ; elle est transmise au centre réflexe par voie transversale ; au cerveau par voie longitudinale et ascendante. La voie transversale, offrant plus de résistance, la transmission en ce sens exige une assez longue durée (expériences de Rosenthal) ; la transmission en longueur est au contraire beaucoup plus rapide. L’action suspensive du cerveau à donc le temps de se produire et de modérer les réflexes. Dans les cas précités, le cerveau étant sans action, l’activité en reste à son degré inférieur, et, faute de ses conditions nécessaires et suffisantes, la volonté ne se produit pas.

II. Les faits du second groupe méritent d’être plus longuement étudiés : ils mettent en lumière la défaite de la volonté ou les moyens artificiels qui la maintiennent. Ici, le malade a pleine conscience de sa situation ; il sent qu’il n’est plus maître de lui-même, qu’il est dominé par une force intérieure, invinciblement poussé à commettre des actes qu’il réprouve. L’intelligence reste suffisamment saine, le délire n’existe-que dans les actes.

On trouvera dans un livre de Marc, aujourd’hui un peu oublié[1], un ample recueil des faits où les écrivains postérieurs ont souvent puisé. Citons-en quelques-uns.

Une dame, prise parfois d’impulsions homicides, demandait à être maintenue à l’aide d’une camisole de force et annonçait ensuite le moment où tout danger était passé et où elle pouvait reprendre la liberté de ses mouvements. — Un chimiste, tourmenté de même par des désirs homicides, se faisait attacher les deux pouces avec un ruban et trouvait dans ce simple obstacle le moyen de résister à la tentation. — Une domestique d’une conduite irréprochable supplie sa maîtresse de la laisser partir, parce que en voyant nu l’enfant qu’elle soigne, elle est dévorée du désir de l’éventrer.

Une autre femme, d’une grande culture intellectuelle et pleine d’affection pour ses parents, « se met à les frapper malgré elle et demande qu’on vienne à son aide en la fixant dans un fauteuil[2].

Un mélancolique tourmenté d’idée de suicide se leva la nuit, alla

  1. De la folie considérée dans ses rapports avec les questions médico-judiciaires, 2 vol. in-8. Paris 1840.
  2. Luys, loc. cit., p. 438.