Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/414

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
410
revue philosophique

Entre les actes les plus puériles et les plus dangereux, il n’y a qu’une différence de quantité : ce que les uns donnent en raccourci, les autres le montrent en grossissement. Essayons de comprendre le mécanisme de cette désorganisation de la volonté.

Dans l’état normal, un but est choisi, affirmé, réalisé ; c’est-à-dire que les éléments du moi, en totalité ou en majorité, y concourent : les états de conscience (sentiments, idées, avec leurs tendances motrices), les mouvements de nos membres forment un consensus qui converge vers le but avec plus ou moins d’effort, par un mécanisme complexe, composé à la fois d’impulsions et d’arrêts.

Telle est la volonté sous sa forme achevée, typique ; mais ce n’est pas là un produit naturel. C’est le résultat de l’art, de l’éducation, de l’expérience. C’est un édifice construit lentement, pièce à pièce. L’observation objective et subjective, montre que chaque forme de l’activité volontaire est le fruit d’une conquête. La nature ne fournit que les matériaux : quelques mouvements simples dans l’ordre physiologique, quelques associations simples dans l’ordre psychologique. Il faut que, à l’aide de ces adaptations simples et presque invariables, se forment des adaptations de plus en plus complexes et variables. Il faut par exemple que l’enfant acquière son pouvoir sur ses jambes, ses bras et toutes les parties mobiles de son corps, à force de tâtonnements et d’essais, en combinant les mouvements appropriés et en supprimant les mouvements inutiles. Il faut que les groupes simples ainsi formés soient combinés en groupes complexes, ceux-ci en groupes encore plus complexes, et ainsi de suite. Dans l’ordre psychologique, une opération analogue est nécessaire. Rien de complexe ne s’acquiert d’emblée.

Mais il est bien clair que, dans l’édifice ainsi construit peu à peu, les matériaux primitifs sont seuls stables, et qu’à mesure que la complexité augmente la stabilité décroît. Les actions les plus simples sont les plus stables, pour des raisons anatomiques, parce qu’elles sont congénitales, inscrites dans l’organisme ; — pour des raisons physiologiques, parce qu’elles sont perpétuellement répétées dans l’expérience de l’individu, et, si l’on veut faire intervenir l’hérédité qui ouvre un champ illimité, dans les expériences sans nombre de l’espèce et des espèces[1]. À tout prendre, ce qui est surprenant,

    que, dans certains cas, la terreur de produire un acte y conduit invinciblement effets du vertige, gens qui se jettent dans la rue par crainte d’y tomber, qui se blessent de peur de se blesser, etc. Tous ces faits s’expliquent par la nature de la représentation mentale, qui, en raison même de son intensité, passe à l’acte.

  1. Le pouvoir volontaire étant constitué lorsque à certains états de conscience obéissent certains groupes de mouvements, on peut citer à titre de cas