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RIBOT. — les affaiblissements de la volonté

rent. Les extravagances, violences ou crimes commis en cet état sont sans nombre. — Le mécanisme de l’envahissement de l’ivresse est fort discuté. On admet en général qu’il commence par le cerveau, puis agit sur la moelle épinière et le bulbe, et en dernier lieu sur le grand sympathique. Il se produit une obtusion intellectuelle, c’est-à-dire que les états de conscience sont vagues, mal délimités, peu intenses : l’activité physio-psychologique du cerveau a diminué. Cet affaiblissement atteint aussi le pouvoir moteur. Obersteiner a montré par des expériences que, sous l’influence de l’alcool, on réagit moins vite, tout en ayant l’illusion contraire[1]. Ce qui est atteint, ce n’est seulement l’idéation, mais l’activité idéo-motrice. En même temps, le pouvoir de coordination devient nul ou éphémère et sans énergie. La coordination consistant à la fois à faire converger certaines impulsions vers un but et à arrêter les impulsions inutiles ou antagonistes, comme les réflexes sont exagérés ou violents, il faut en conclure que le pouvoir d’arrêt (quels qu’en soient la nature et le mécanisme) est lésé, et que son rôle dans la constitution et le maintien de l’activité volontaire et capital.

La pathologie cérébrale fournit d’autres faits à l’appui, plus frappants, parce qu’ils montrent dans l’individu un changement brusque et stable.

Ferrier et d’autres auteurs citent des cas où la lésion des circonvolutions frontales (en particulier la première et la seconde) amène une perte presque totale de la volonté, réduit l’être à l’automatisme, tout au moins à cet état où l’activité instinctive réflexe règne à peu près seule, sans arrêt possible.

Un enfant est blessé par un couteau au lobe frontal. Dix-sept ans après, on constatait une bonne santé physique, « mais le blessé est incapable d’occupations nécessitant un travail mental. Il est irritable, surtout lorsqu’il a bu ou subi quelque excitation anormale. »

Un malade de Lépine, atteint d’un abcès au lobe frontal droit, « était dans un état d’hébétude. Il semblait comprendre ce qu’on disait, mais on avait peine à lui faire prononcer un mot. Sur un ordre, il s’asseyait ; si on le soulevait, il pouvait faire quelques pas sans assistance. »

Un homme atteint d’un coup violent qui détruisit la plus grande partie de la première et de la deuxième frontale « avait perdu la volonté. Il comprenait, agissait comme on lui ordonnait, mais d’une façon automatique et mécanique. »

Plusieurs cas analogues au précédent ont été rapportés, mais le

  1. Brain, January 1879.