Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
415
RIBOT. — les affaiblissements de la volonté

En rapprochant l’aboulie des impulsions irrésistibles, on notera que la volonté fait défaut par suite de conditions tout à fait contraires. Dans un cas, l’intelligence est intacte, l’impulsion manque ; dans l’autre, la puissance de coordination et d’arrêt faisant défaut, l’impulsion se dépense tout entière au profit de l’automatisme.

IV

Nous allons étudier maintenant des affaiblissements de la volonté d’un caractère moins dramatique, ceux de l’attention volontaire. Ils ne diffèrent pas en nature de ceux du dernier groupe, consistant comme eux en un affaiblissement du pouvoir de direction et d’adaptation. C’est une diminution de la volonté au sens le plus strict, le plus étroit, le plus limité, indiscutable même pour ceux qui se renferment obstinément dans l’observation intérieure.

Avant de nous occuper de la faiblesse acquise, examinons la faiblesse congénitale de l’attention volontaire. Laissons de côté les esprits bornés ou médiocres, chez qui les sentiments, l’intelligence et la volonté sont à un même unisson de faiblesse. Il est plus curieux de prendre un grand esprit, un homme doué d’une haute intelligence, d’une vive faculté de sentir, mais chez qui le pouvoir directeur manque, en sorte que le contraste entre la pensée et le vouloir soit complet. Nous en avons un exemple dans Coleridge.

« Aucun homme de son temps ni peut-être d’aucun temps, dit Carpenter[1], n’a réuni plus que Coleridge la puissance de raisonnement du philosophe, l’imagination du poète et l’inspiration du voyant. Personne peut-être dans la génération précédente n’a produit une plus vive impression sur les esprits engagés dans les spéculations les plus hautes. Et pourtant il n’y a probablement personne qui, étant doué d’aussi remarquables talents, en ait tiré si peu, — le grand défaut de son caractère étant le manque de volonté pour mettre ces dons naturels à profit ; si bien que, ayant toujours flottants dans l’esprit de nombreux et gigantesques projets, il n’a jamais essayé sérieusemont d’en exécuter un seul. Ainsi, dès le début de sa carrière, il trouva un libraire généreux, qui lui promit trente guinées pour des poèmes qu’il avait récités, le payement intégral devant se faire à la remise du manuscrit. Il préféra venir, toutes les

  1. Mental physiology, p. 266 et suiv.