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grande énergie psychique dans certains centres nerveux avec une sorte de catalepsie temporaire des autres centres[1]. Mais je n’ai pas à étudier l’attention en elle-même ; ce qui nous importe, c’est de déterminer son origine, sa cause.

Il est clair que, dans les états ci-dessus énumérés et leurs analogues, la vraie cause est un état affectif, un sentiment de plaisir, d’amour, de haine, de curiosité : bref, un état plus ou moins complexe, agréable, désagréable ou mixte. C’est parce que la proie, le spectacle, l’idée de la victime, le problème à résoudre produisent chez l’animal, l’enfant, l’assassin, le mathématicien, une émotion intense et suffisamment durable qu’ils sont attentifs. Otez l’émotion, tout disparaît. Tant qu’elle dure, l’attention dure. Tout se passe donc ici à la manière de ces réflexes qui paraissent continus, parce qu’une excitation sans cesse répétée et toujours la même les maintient, jusqu’au moment où l’épuisement nerveux se produit.

Veut-on la contre-épreuve ? Qu’on remarque que les enfants, les femmes et en général les esprits légers ne sont capables d’attention que pendant un temps très court. Pourquoi ? Parce que les choses n’éveillent en eux que des sentiments superficiels et instables ; qu’ils sont complètement inattentifs aux questions élevées, complexes, profondes, parce qu’elles les laissent froids ; qu’ils sont au contraire attentifs aux choses futiles, parce qu’elles les intéressent. Je pourrais rappeler encore que l’orateur et l’écrivain maintiennent l’attention de leur public en s’adressant à leurs sentiments (agrément, terreur, etc.) On peut tourner et retourner la question en tout sens ; la même conclusion s’impose : et je n’insisterais pas sur un fait évident, si les auteurs qui ont étudié l’attention ne me paraissaient avoir oublié cette influence capitale.

À ce compte, on doit dire que l’attention spontanée donne un maximum d’effet avec un minimum d’effort ; tandis que l’attention

  1. « Le processus si compliqué de l’attention est déterminé par les mêmes conditions anatomo-physiologiques des organes encéphaliques qui se rencontrent plus simples dans l’excitation sensitive. Ces conditions dépendent du processus continu de différenciation que subissent les éléments nerveux. Nous avons déjà vu un premier processus de différenciation dans le passage de l’onde (nerveuse) diffuse à l’onde restreinte, c’est-à-dire dans le passage de la sensation à la perception distincte : ce qui implique une localisation cérébrale. C’est un processus de différenciation encore plus grand que nous nommons attention : l’onde excitatrice devient plus restreinte et plus intense, plus localisée et plus directe : par suite, le phénomène entier prend une forme claire et distincte. » (Sergi, Teoria fisiologica della percezione, ch.  XII, p. 246. Outre ce substantiel chapitre, on pourra consulter sur l’attention étudiée au point de vne de la psychologie nouvelle : Lewes, Problems of life and Mind, 3e série, p. 18 ; Maudsley, Physiol. de l’esprit, trad. française, p. 457 ; Wundt, Grundzüge der phiysiol. Psychologie, 2e éd. p. 391 ; Ferrier, Les Fonctions du cerveau, §102.)