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RIBOT. — les affaiblissements de la volonté

volontaire donne un minimum d’effet avec un maximum d’effort et que cette opposition est d’autant plus tranchée que l’une est plus spontanée et l’autre plus volontaire. À son plus haut degré, l’attention volontaire est un état artificiel où, à l’aide de sentiments factices, nous maintenons à grand’peine certains états de conscience qui ne tendent qu’à s’évanouir (par exemple, quand nous poursuivons par politesse une conversation très ennuyeuse). Dans un cas, ce qui détermine cette spécialisation de la conscience, c’est toute notre individualité ; dans le second, c’est une portion extrêmement faible et restreinte de notre individualité.

Bien des questions se poseraient ici ; mais, je le répète, je n’ai pas à étudier l’attention en elle-même. J’avais simplement à montrer (ce qui, je l’espère, ne laisse aucun doute) qu’elle est dans son origine de la nature des réflexes ; que sous sa forme spontanée elle a leur régularité et leur puissance d’action ; que, sous sa forme volontaire, elle est beaucoup moins régulière et puissante ; mais que, dans les deux cas, c’est une excitation sensitive qui la cause, la maintient et la mesure.

On voit une fois de plus que le volontaire est fait avec l’involontaire, s’appuie sur lui, tire de lui sa force et est, en comparaison, bien fragile. L’éducation de l’attention ne consiste en définitive qu’à susciter et à développer ces sentiments factices et à tâcher de les rendre stables par la répétition ; mais, comme il n’y a pas de création ex nihilo il leur faut une base naturelle, si mince qu’elle soit. Pour conclure sur ce point, j’avouerai que j’accepte pour mon compte le paradoxe si souvent combattu d’Helvétius « que toutes les différences intellectuelles entre les hommes ne viennent que de l’attention ». sous la réserve qu’il s’agit de l’attention spontanée seule ; mais alors tout se réduit à dire que les différences entre les hommes sont innées et naturelles.

Après avoir montré comment l’attention se produit, il reste à chercher comment elle se maintient. La difficulté ne porte que sur l’attention voulue. Nous avons vu, en effet, que le maintien de l’attention spontanée s’explique de lui-même. Elle est continue, parce que l’excitation qui la cause est continue. Par contre, plus attention est volontaire, plus elle requiert d’effort et plus elle est instable, Les deux cas se réduisent à une lutte entre des états de conscience. Dans le premier cas, un état de conscience (ou pour mieux dire un groupe d’états) est tellement intense qu’il n’y a contre lui aucune lutte possible et qu’il s’impose de vive force. Dans le second cas le groupe n’a pas de lui-même une intensité suffisante pour s’imposer ;