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Or la forme que le christianisme a donnée à la divinité est devenue inacceptable pour notre temps. Nous ne pouvons plus-croire à un Dieu qui récompense ou punit dans une autre vie. Nous ne pouvons plus croire qu’à un Dieu immanent. Que doit faire l’État ? « L’État n’a pas besoin de l’appui de l’Église, mais de celui du droit ; or le peuple a besoin de la religion pour respecter le droit. » C’est pourquoi l’État doit prendre soin que l’on enseigne au peuple une religion répondant au besoin qu’il en a. Le peuple ne croit plus aux miracles, aux prédictions, à la divinité du Christ : il sait que tout cela est contraire à la science ; de plus, le christianisme est de par sa constitution même et son esprit intime, dangereux pour l’État. Sa morale est, au fond, subversive ; il enseigne qu’on doit plutôt obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui sait où cela peut mener ? M. Wernicke se plaint amèrement du tort que la conversion des Germains a fait au génie allemand. Ge génie a beaucoup souffert de l’esprit catholique du moyen âge. M. Wernicke n’a garde d’oublier le dernier des Hohenstaufen, mort sur l’échafaud. Enfin, le catholicisme est, à ses yeux, un ennemi du jeune empire allemand.

Que demande-t-il donc ? Le libre développement du protestantisme sous sa forme la plus moderne ; que les libéraux puissent parler aussi haut que les orthodoxes, et on verra à qui appartiendra la victoire. Ce sont eux qui préparent l’avènement de la religion de l’avenir. Il réclame aussi un enseignement religieux non confessionnel dans les écoles ; que l’on parle de Dieu aux enfants, sans s’attacher aux formes de telle ou telle secte religieuse. La religion de l’avenir remplira cette tâche à merveille et, réunissant tout le monde dans un même esprit, montrera le rôle historique de ces religions qui veulent encore aujourd’hui combattre la science.

M. Wernicke s’exprime ensuite de la façon la plus énergique sur le mouvement antisémitique qui à agité l’Allemagne dans ces dernières années. « On se croît, dit-il, rejeté aux jours les plus sombres du moyen âge. » Rien ne justifie cette persécution. « La noblesse voit entre les mains d’Israélites opulents les propriétés des nobles ruinés. Le marchand chrétien voit ici ou là un juif qui a avancé plus vite que lui ; celui qui travaille pour la science ou pour l’État rencontre souvent un juif plus adroit et plus habile sur son chemin. Voilà pourquoi la vieille haine est déchainée… Nous ne songeons pas à rechercher dans toutes les classes les causes premières de l’hostilité contre les juifs : nous n’aimons pas à remuer la boue ; il nous suffit de dire que presque partout le plus vil égoïsme en est le motif. On s’indigne, parce que les juifs, malgré leur longue servitude, sont encore capables d’une action efficace, là où on leur permet de se développer : on ne peut pas fermer les yeux à ce fait, que leur race, tout bien compté, est mieux douée que notre peuple, et c’est pourquoi, jaloux de leurs succès, on désire les rejeter dans leur ancienne servitude. » L’auteur expose ensuite les qualités morales et intellectuelles que la race juive possède à un si haut degré et explique ses défauts par la longue abjection dans laquelle on