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ANALYSES. — A. WERNICKE. Die Religion des Gewissens.

l’avenir, c’est-à-dire à la religion de la conscience, qui est la manifestation évidente, dans chacun de nous, du Dieu immanent, substance de toutes choses et source de tout bien.

Dans le cinquième chapitre « La science et la foi sont-elles des puissances ennemies ? » nous trouvons deux ordres d’idées bien distincts. D’abord le panthéisme est exposé de nouveau, toujours sous la même forme : l’auteur croit à l’existence d’un Dieu immanent, qui régit le monde par des lois d’une nécessité inéluctable. L’individu sort du sein de cette substance unique et infinie sans que l’on sache ni comment ni pourquoi. On reconnaît aisément dans cette doctrine l’influence des stoïciens et de Spinoza. Puis nous rencontrons aussi des idées fort justes sur le rôle respectif de la science et de la foi. Toutes deux peuvent subsister en paix. Car leur domaine à chacune est naturellement borné. Les savants eux-mêmes, aussi bien que les philosophes, sont d’accord aujourd’hui pour avouer que notre connaissance a des limites qu’elle ne saurait dépasser : il suffit de citer les noms de Kant, de Lange, de Helmholtz, de du Bois-Reymond. Au delà de ces limites, la foi peut se donner libre carrière. Tout ce qu’on lui demande, c’est de ne point venir heurter le principe de la causalité universelle, dont la domination dans notre monde doit être absolue (allusion sans doute aux miracles)+ La forme sous laquelle on conçoit actuellement la divinité est vieillie et usée ; le progrès de l’humanité en réclame une autre. C’est aux prophètes, c’est aux poètes de la trouver. Il ne faut pas que l’amour de Dieu et l’esprit religieux disparaissent, parce que la forme du culte est devenue insuffisante. Le protestantisme a combattu cette vieille forme, il a contribué à faire place nette ; il faut maintenant rebâtir, On a les éléments et comme les matériaux de la construction nouvelle ; on les trouve dans la science, dans la loi morale qui est « une révélation du Dieu immanent ». Seulement, il ne s’agit plus d’édifier encore des systèmes de métaphysique dogmatique, comme on l’a fait même après Kant ; il faut chercher dans un esprit vraiment religieux, et chercher au dedans de nous. Dieu ne se révèle que là.

« Que pouvons-nous demander à l’État ? » est le titre du dernier chapitre. « En tout temps, dit l’auteur, le peuple aura besoin de la religion ; mais la forme de la religion change avec le temps. Comme le développement de la race humaine est un progrès incessant, sa richesse intellectuelle change de génération en génération. Aussi, bien que l’idée même de Dieu soit un pôle fixe dans la fuite éternelle des phénomènes, cependant notre façon de le concevoir est le produit des idées régnantes de notre époque et en forme précisément le point central. »

La recherche scientifique de nos jours ne peut s’accommoder que d’un Dieu immanent, qui, cause inconnaissable de tout le connaissable, gouverne le tout d’après des lois nécessaires. La foi cherche à se représenter l’idée de Dieu, et elle est dans son droit, tant que dans ses créations elle ne vient point contredire le résultat de la science. Les domaines de la science et de la foi sont naturellement distincts.