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sion légitime. » Quoique cette époque de la vie de Colomb soit demeurée assez obscure, on en connaît cependant quelques exploits chevaleresques où éclate déjà son intrépidité, son esprit résolu et persévérant, « sachant trouver expédients et stratagèmes pour vaincre ou pour tourner la résistance des hommes dont il a besoin », et toutefois ne mettant sa ruse qu’au service du bien et de l’honneur. Ce fut là en effet, toute sa vie, le fond de son caractère, avec une irritabilité qu’entretenaient l’impatience de la réussite et la vue claire de l’injustice ou de la malignité des résistances, mais que tempéraient aussi l’élévation des idées et la générosité des sentiments. Et maintenant, qu’on le suive par la pensée à la cour du prince Henri, dans cette ville de Lisbonne, toujours remplie d’étrangers, de curieux, de navigateurs revenant d’un lointain voyage ou en préparant un nouveau, de savants accourus à l’appel du prince pour fonder des établissements scientifiques ! Qu’on se le représente tantôt commandant une expédition sur les côtes barbaresques, tantôt allant reconnaître les terres enfermées aï delà des glaces de l’Islande, puis revenant à Lisbonne et s’adonnant de nouveau à la science pure ; entretenant une correspondance avec les savants illustres de l’époque, avec Martin Bohaim, avec l’astronome florentin Toccanelli, dont les vues se rapprochaient remarquablement des siennes ; étudiant les papiers, les cartes, les journaux et les notes de son beau-père, qui avait été l’un des navigateurs le plus distingués du prince Henri ; travaillant péniblement, pour vivre, à des cartes, à des globes terrestres[1] où son œil ne cessait de scruter cet espace vide que son imagination remplissait tout à loisir d’un monde inconnu. Qu’on le suive à l’île récemment découverte ile Porto-Santo, sur la limite même des régions encore inexplorées, y vivant dans ce tourbillon perpétuel de récits et de projets qu’y entretenait le va-et-vient des voyageurs. On verra ainsi comment, avec l’imagination et le calcul, avec le raisonnement et l’enthousiasme, dans le commerce des astronomes, des géographes et des matelots, s’est formée peu à peu en lui la grande idée. On verra qu’il y est arrivé, stimulé par le mouvement intellectuel des temps et aidé, comme dit très bien M. Irwing, « par ces faibles et rares lueurs qui éclairer inutilement les intelligences ordinaires. »

Mais « aussitôt, dit l’historien, qu’il eut créé sa théorie, elle s’enracina fortement dans son esprit et influa sur son caractère comme sur sa conduite ; jamais il n’en parla avec doute, avec hésitation, mais avec autant d’assurance que s’il avait vu la terre promise. Aucune épreuve, aucune déception ne purent le détourner de la poursuite

  1. Les travaux scientifiques de Colomb étaient recherchés et jouissaient d’une assez grande réputation. Ii fit faire de sérieux progrès à l’art nautique.