Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/475

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
471
H. JOLY. — psychologie des grands hommes

groupes d’esprits se préoccupaient également de savoir jusqu’où les découvertes nouvelles pouvaient s’étendre : ici, des érudits laborieux et désintéressés qui scrutaient les traditions, mais ne pouvaient rien pour vérifier leurs calculs et donner une suite pratique à leurs idées ; là, des navigateurs, ou courageux ou cupides, amis de l’aventure ou amis de l’or, mais peu capables de transformer leurs rêveries en entreprises scientifiques. « Les commerçants surexcités, dit heureusement un écrivain populaire[1], mettaient les savants aux prises. » Qui devait terminer leurs disputes ? Un homme d’action qui fût un savant et de plus un grand cœur. Christophe Colomb était tout cela.

Quand l’historien d’aujourd’hui analyse les éléments alors si confus de cette époque fiévreuse, il sépare sans grand’peine les erreurs, les vraisemblances, les vérités, les fables, les superstitions ; suivant qu’on regarde les unes ou les autres, la découverte de Colomb apparaît, tantôt comme une entreprise facile que certaines erreurs du temps (comme l’étendue imaginaire de l’Asie à l’est et la petitesse supposée de la terre) devaient encourager plus encore, tantôt comme une héroïque folie dont le succès fut dû surtout à des hasards heureux. Ce qui est vrai, c’est que les arguments invoqués en faveur de la tentative étaient assez forts pour lui donner un caractère de raison, et que d’autre part les lacunes de la science étaient assez grandes pour remplir d’effroi les âmes les plus vigoureuses jetées dans les abimes d’un tel inconnu. On pouvait dire, cela est vrai, que, la sphéricité de la terre étant acquise à la science, on n’avait qu’à gagner vers l’ouest pour arriver à l’est un jour ou l’autre ; mais la plupart des théologiens (et on sait quelle était leur autorité) s’obstinaient à nier cette sphéricité. Dans tous les cas, la circonférence de la terre était encore inconnue. « Nul ne pouvait dire si l’Océan était sans bornes ou impossible à traverser ; les lois de la pesanteur et de la gravitation étaient ignorées. » Nul n’avait encore formulé cette grande idée que les lois de la matière sont identiques à elles-mêmes partout. C’était donc un mélange d’espérances et de terreurs qui répondaient à un fouillis de probabilités et de mystères inextricable pour la masse.

Quant à Colomb, il avait commencé sa carrière maritime à quatorze ans. La vie du marin sur la Méditerranée était alors une vie pleine de dangers et de hasards ; le jeune homme l’avait affrontée en compagnie d’un parent, homme aventureux, toujours prêt au combat, mais l’historien ajoute : « partout où se trouvait une occa-

  1. Jules Verne, Histoire de la découverte de la terre.