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les forces centrifuges, qui devaient tant contribuer, six ans plus tard, à la célébrité de Huygens.

« Ayant ainsi déterminé la loi de la pesanteur des planètes vers le soleil, Newton essaya aussitôt de l’appliquer à la lune, c’est-à-dire d’en conclure la vitesse de son mouvement de circulation autour de la terre, d’après sa distance déterminée par les astronomes et en partant de l’intensité de la pesanteur, telle qu’elle se manifeste par la chute des corps à la surface de la terre même. Mais, pour effectuer ce calcul, on conçoit qu’il faut connaître exactement le rayon de la terre, c’est-à-dire la distance de sa surface à son centre, en parties de la même mesure qui sert à exprimer l’espace parcouru en un temps donné par les corps pesants, lorsqu’ils tombent près de cette surface ; car cette vitesse est le premier terme de comparaison qui détermine l’intensité de la pesanteur à cette distance du centre, et l’on n’a plus ensuite qu’à l’étendre jusqu’à la distance de la lune, en l’affaiblissant, suivant la loi du carré ; après quoi, tout se réduit à examiner si, ainsi diminée, elle a précisément le degré d’énergie qu’il faut pour retenir la lune contre l’effort de force centrifuge qu’excite en elle son mouvement de circulation tel qu’on l’observe.

« Malheureusement, à cette époque, il n’existait point encore de mesure exacte de la terre[1]. »

Newton se heurta donc, dans ses calculs, contre des discordances qui l’arrêtèrent, et il se demanda si « quelque cause inconnue, peut-être analogue aux tourbillons de Descartes, modifiait pour la lune la loi générale de pesanteur que le mouvement des planètes indiquait. Il ne renonça donc point pour cela à son idée principale, et comment pourrait-on croire que l’on abandonnât de telles pensées ? Mais, ce qui était un effort aussi grand et plus conforme au caractère de son esprit méditatif, il sut la conserver pour lui seul et attendre que le temps lui révélât la cause inconnue qui modifiait une loi indiquée par de si fortes analogies. »

Il s’écoule alors un intervalle de près de quatorze ans, pendant lesquels Newton se livre à ses immortels travaux sur l’optique, à des observations astronomiques, à des calculs. Il se familiarise de plus en plus avec l’action des forces naturelles, dont il mesure les effets divers avec l’exactitude des mathématiques, éprouvant de jour en jour ce calcul nouveau qu’il s’était créé, « par lequel il lui devenait possible d’atteindre les effets les plus composés, d’en mettre en évidence les éléments simples, d’obtenir ainsi les forces abstraites qui les produisent, pour redescendre ensuite, par la connaissance de ces

  1. Bot, ouvrage cité, pages 136 et 137.