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a pu désigner par ces mots : « l’initiateur souverain de la peinture renouvelée, l’artiste le plus divers, le plus complet des temps modernes, le génie le plus original, le plus rare et le plus rayonnant de l’Italie. » (Ch. Blanc.)

Nul art ne passe, et avec raison, pour plus libre et plus créateur que la musique ; et, dans toutes les formes de la musique, il n’en est point de plus détachée de toute considération étrangère à la musique elle-même, que la symphonie. Mais là encore, il y a un certain idéal concret, qui est aimé et désiré et qui est le principe de l’unité de l’œuvre, parce que l’expression parfaite de cet idéal est le but ou la fin du travail tout entier. La critique musicale a toujours admiré dans Beethoven « la spontanéité des épisodes par laquelle il suspend dans ses beaux ouvrages l’intérêt qu’il a fait naître, pour lui en substituer un autre aussi vif qu’inattendu. » Cet art lui est particulier, dit Fétis, et c’est à lui qu’il est redevable de ses plus beaux succès. Mais le critique compétent ajoute : « Etrangers en apparence à la pensée première, ces épisodes occupent d’abord l’attention par l’originalité ; puis, quand l’effet de la surprise commence à s’affaiblir, le compositeur sait les rattacher à l’unité de son plan et fait voir que, dans l’ensemble de sa composition, la variété est dépendante de l’unité. »

Cette unité est-elle le résultat des inspirations successives qui finissent par s’accorder, ou bien est-elle voulue dès le principe et cherchée systématiquement ? Un exemple mémorable est là pour aider à la solution de cette question. Beethoven avait commencé sa Symphonie héroïque pour rendre hommage à Bonaparte, dont il était enthousiaste. Puis il apprend que le premier Consul se fait empereur : il voit que c’est un ambitieux… « Alors sa pensée changea de direction. À l’héroïque mouvement, il substitua la marche funèbre qui forme aujourd’hui le deuxième morceau de la symphonie ; et au lieu de la simple inscription de son ouvrage : Bonaparte ; il mit celle-ci : Sinfonia eroica per festeggiare il sovvenire d’un gran uomo. Il sovvenire ! Son héros lui semblait déjà descendu dans la tombe ; au lieu d’un hymne de gloire, il avait besoin d’un chant de deuil. » Mais ce n’est pas le seul fait à relever ici. Ce morceau détaché devint le germe d’une autre symphonie qui en développa la puissante expression, c’est la symphonie en ut mineur. Si donc une idée venait à sortir pour lui d’un ensemble ébauché déjà et à être reprise pour entrer dans une nouvelle œuvre, c’était à la condition de devenir comme le germe d’un tout organique nouveau et comme le principe d’une vie distincte de la première, mais complète aussi et harmonieuse dans l’organisation de toutes ses parties.