Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/540

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
536
revue philosophique

mêmes ; celles-ci peuvent, en entrant dans des combinaisons particulières, produire des phénomènes spéciaux ; mais elles ne sauraient changer de nature. Les propriétés même élémentaires de la matière organisée, celles qui caractérisent le protoplasme, ne sont que des manifestations d’un agrégat de matière, c’est-à-dire des résultats de forces, de mouvements.

Est-ce à dire pourtant que nous ne ferons pas de distinction entre les propriétés vitales et les propriétés physiques avec lesquelles elles se montrent si souvent en opposition ? Nous répondrons par la parole si autorisée de Cl. Bernard. « Les phénomènes vitaux, dit ce ce grand physiologiste[1], ont leurs conditions physico-chimiques rigoureusement déterminées ; mais ils se subordonnent et se succèdent dans un enchaînement qui n’est pas moins fixé : ils se répètent éternellement et s’harmonisent avec ordre, régularité et méthode, en vue de ce résultat qui est l’organisation et l’accroissement de l’individu. Il y a comme un dessin qui trace le plan de chaque être et de chaque organe, en sorte que si, considéré isolément, chaque phénomène de l’organisme est tributaire des forces générales de la nature, pris dans ses rapports avec les autres, il révèle un lien spécial, il semble dirigé par quelque guide invisible dans la route qu’il suit, dans la place qu’il occupe. Ainsi la plus simple méditation nous montre là un caractère de premier ordre, un quid proprium de l’être vivant.

Mais l’observation nous montre l’ordonnance, des choses encadrées dans un plan et ne nous montre rien de plus ; elle nous révèle un dessin vital, mais non l’intervention d’une puissance active dans chaque phénomène, non une véritable force vitale exécutive…

On peut dire que les sciences des corps bruts comprennent dans leurs lois les phénomènes des machines vivantes et que chacun de ceux-ci n’est qu’une modalité des phénomènes généraux de la nature… Il n’y a pas deux mécaniques, deux physiques, deux chimies, l’une pour les corps vivants, l’autre pour les corps bruts. Et comment cela pourrait-il être, puisque la matière qui constitue le corps vivant est la même que celle qui compose les corps bruts. »

Puisqu’il n’y a pas chez les êtres vivants d’autres forces actives que les forces générales, que la vie avec tous ses attributs n’est qu’un produit, il ne peut y avoir en eux, pas plus que dans les corps bruts, des forces capables d’arrêter par elles-mêmes leur transformation.

  1. Cours du Muséum, Les définitions de la vie, in Revue scientifique, XX, p. 512 et suivantes.