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vrose » ; ou encore, « la constitution de beaucoup d’hommes de génie est bien réellement la même que celle des idiots[1]. »

Nous considérons cette interprétation-là comme réfutée surabondamment. Soutenir que la force et la faiblesse, la maladie et la santé, l’ordre et le désordre sont mêmes choses ou tiennent à de semblables conditions, c’est un pur jeu d’esprit. Nous n’en dirons rien de plus[2]. On l’a senti du reste parmi ceux qui cherchent toujours à tout phénomène mental des explications purement physiologiques, et l’on a donné de la théorie cette autre interprétation que nous venons de désigner par les mots de métamorphose d’alternance. Si, a-t-on dit, les cas de surexcitation maladive et ceux d’originalité puissante ne coïncident pas, du moins ils se succèdent, et il est possible qu’ils s’engendrent, comme dans Platon les contraires et, dans le proverbe populaire, les extrêmes. De même que le rhumatisme articulaire alterne avec la chorée ou danse de Saint-Guy, ainsi la puissance inventive peut alterner avec une variété quelconque de l’aliénation mentale. Les faiblesses et les excès qu’il est impossible de ne pas voir chez la plupart des grands hommes sont alors des symptômes secondaires, moins développés, moins dominants surtout dans l’état qui précède que dans celui qui doit suivre, mais attestant bien une transition, un passage entre les deux.

Disons tout de suite que cette forme de la théorie nous paraît aussi confuse et aussi fausse que la première ; nous allons essayer de le prouver, car nous voudrions débarrasser de toute compromission avec de semblables hypothèses la doctrine dont nous avons montré les partie

Pour plus de facilité, distinguons dans la question trois cas ou trois moments successifs possibles : 1o Le grand homme hérite de ses ascendants les bizarreries et les faiblesses qui se mêlent à son génie. 2o C’est dans le grand homme lui-même qu’elles apparaissent pour la première fois : il en est pour ainsi dire l’auteur ou du moins la première victime. 3o Le grand homme transmet ce triste héritage à sa postérité. Les hommes de génie sont très souvent déparés par des imperfections qu’ils tiennent de leurs parents, cela ne fait pas question. Nous savons tous qu’il y avait chez Henri IV des contrastes inouïs ; que si, pour sa gloire et pour la nôtre, il tenait de Jeanne d’Albret, il y

  1. Ces différentes expressions sont tirées du livre de Moreau de Tours.
  2. Nous renvoyons aux spirituelles pages de M. Paul Janet, dans Le cerveau et la pensée, et à bert Lemoine, dans L’ame et le corps.