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sa pensée procède d’Aristote. Le métaphysicien de nos jours, attaché à la tradition de l’école, mérite encore le nom de disciple du Stagirite.

D’arlu.

Émile Krantz. — Essai sur l’esthétique de Descartes. In-8o. Paris, Germer Baillière.

« Il manque une esthétique et une morale au cartésianisme », Telle est la première ligne de l’Avant-propos du livre de M. Krantz : ce qui nous semble tout d’abord la condamnation, sinon de son sujet, au moins du titre trompeur qu’il lui a donné, S’il n’y a pas plus de morale que d’esthétique dans le cartésianisme, à tout aussi bon droit pourrait-il donner à un prochain livre le titre de Morale de Descartes. Non seulement Descartes n’a pas d’esthétique, mais, d’après l’auteur, il ne pouvait pas même en avoir, du moins telle qu’il l’entend. En effet, l’esthétique ne serait, d’après lui, qu’une science mixte, historique, à posteriori, procédant par induction et généralisation des faits, tandis que Descartes n’admet pas d’autre objet que le simple. Or, contrairement à cette tranchante assertion, il se trouve, que Descartes n’a parlé du beau qu’une fois en passant et qu’il en a parlé d’une manière tout empirique. Aussi nous prévient-il que dans tout son ouvrage il ne sera pas plus question du beau absolu que n[illisible] Descartes lui-même.

Toutefois il ne tient pas tout à fait parole ; il semble même bien aise de rencontrer dans l’histoire du cartésianisme, dans les derniers temps de l’école, quelque chose qui ressemble à ce qu’on entend généralement en philosophie par esthétique ; voilà pourquoi sans doute il consacrera un chapitre assez long à l’analyse de l’Essai sur le beau du P. André, qui est une vraie esthétique. Assurément le P. André est un cartésien dans ses Discours sur l’homme, dans sa Vie de Malebranche, dans ses différends avec les chefs de son ordre ; mais je ne sais si l’on peut dire qu’il est cartésien dans son Essai sur le beau. L’Essai sur le beau est un commentaire ingénieux de cette pensée de saint Augustin, que l’unité est la forme du beau, omnis porro pulchri, tudinis forma unitas est ; j’y vois partout la marque de saint Augustin, mais je n’y vois guère celle de Descartes, malgré tous les efforts de M. Krantz pour nous la montrer. Il est vrai que le P. André a pu s’inspirer de Malebranche, qui, dans la 4e méditation métaphysique ramène toute beauté, même les beautés sensibles, à une imitation de l’ordre. Mais c’est là un emprunt que Malebranche lui-même fait à saint Augustin et non pas à Descartes.

« Influence de la philosophie de Descartes sur la littérature du xviie siècle, » voilà le titre auquel aurait dû s’en tenir l’auteur de la thèse, sauf à ne pas prétendre à une originalité qui est plutôt sur la couverture du livre que dans le livre lui-même. Nous sommes d’accord avec lui pour reconnaître combien réelle, combien grande est cette influence que déjà nous-même nous avons il y a longtemps, signalée dans notre