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finir avec un problème gênant. » Voilà un jugement bien sévère sur une hypothèse que Descartes n’a pas inventée, mais à laquelle il a donné une grande vogue et qui vaut bien plus d’une hypothèse en honneur dans la physiologie contemporaine. Les esprits animaux sont d’ailleurs une hypothèse purement physiologique, qui n’a d’autre but que d’expliquer les mouvements qui se produisent dans les corps en correspondance avec les mouvements de l’âme, et non l’union de l’âme et du corps. Entre l’âme et le corps, il y a correspondance dans la philosophie de Descartes, mais point de lien, point d’intermédiaire, même les plus subtils d’entre les esprits animaux. On sait que cette philosophie aboutit aux causes occasionnelles de Malebranche ou à l’harmonie préétablie de Leibniz.

En résumé, rien de plus vrai et de plus profond que l’influence de la philosophie de Descartes sur la littérature du xviie siècle, dont M. Krantz a fait l’objet de sa thèse. Il a eu le mérite d’ajouter quelques développements nouveaux et ingénieux aux travaux de ceux qui l’avaient précédé dans cette voie. Son tort, comme nous l’avons dit, c’est d’avoir voulu retrouver partout cette influence cartésienne, jusque dans les détails de la rhétorique et de la poétique du temps, jusque dans chaque vers, pour ainsi dire, de l’Art poétique, sans faire la part de la tradition et de ce qui est le lot commun de la raison humaine, même avant Descartes. De là ces rapprochements forcés et bizarres, de là ces correspondances et ces symétries artificielles dont nous avons donné quelques exemples, Mais il ne nous sied peut-être pas d’être trop sévères pour ce que nous pourrions appeler un excès de cartésianisme.

F. Bouillier (de l’Institut).

P. Souriau. — Théorie de l’invention. 1 vol, in-8 de 156 pages, Paris, Hachette, 1882.

M. Souriau a pris pour sujet de thèse lune des questions les plus obscures et les plus délicates qu’un psychologue puisse aborder : rendre raison du phénomène de invention, en démonter le mécanisme, en déterminer le principe, c’est là une tâche fort ardue, mais aussi fort attrayante. La matière est encore neuve : les nombreuses poétiques qu’on a écrites de tout temps, en prose ou en vers, ne l’ont pas épuisée. Il s’agit, du reste, cette fois d’une recherche scientifique, qui exclut d’avance les fantaisies plus ou moins libres de l’imagination en quête d’hypothèses, Une autre thèse présentée il y a quelques années à la Faculté des Lettres de Paris[1] touchait davantage au sujet de M. Souriau, mais d’une façon si insuffisante qu’il n’y avait pas à craindre d’y revenir, Ainsi, l’idée même de M. Souriau était très heureuse, L’a-t-il bien mise en pratique ? A-t-il réussi à nous donner une théorie de l’Invention vraiment forte et solide ? C’est ce que voudrions examiner.

  1. De l’Invention dans les arts, les sciences, et la pratique de la vertu, par M. Joyau.