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ANALYSES. — P. SOURIAU. Théorie de l’invention.

Voici d’abord une page qu’il convient de citer tout au long ; elle nous fait connaître à la fois la méthode de l’écrivain, l’idée maîtresse de l’ouvrage et l’observation particulière qui est le fondement de sa théorie. « Il est bien rare que les idées que nous trouvons soient précisément celles que nous cherchions. Au cours d’une conversation frivole, on imaginera tout d’un coup la solution d’un problème scientifique. En lisant un traité de géométrie, on trouvera une idée musicale. Nous trouvons le plus souvent nos idées par digression. Ainsi, au moment où je commençais à écrire cet alinéa, je m’efforçais de trouver des exemples de cette déviation involontaire de la réflexion, et justement je me mis à penser aux rapports de la critique et de l’inspiration, que dans mon plan j’avais rejetés beaucoup plus loin. Ne pouvant me soustraire à cette obsession, je notai l’idée qui s’imposait à moi, à savoir qu’il était impossible de faire à la critique sa part et que, dans le travail de la composition, il ne pouvait y avoir que deux méthodes de développement… Pour profiter de ces bonnes dispositions, je m’imposai la tâche de suivre cette idée et de penser exclusivement à la valeur de la critique. Mais, lorsque j’eus écrit quelques lignes sur ce sujet, j’éprouvai cette sensation particulière qui nous affecte lorsqu’une personne que nous ne voulons pas regarder s’approche de nous. Je sentais revenir les idées que j’avais essayé d’écarter, ma pensée se retournait malgré moi vers mon premier sujet, et tout à coup, au moment même où je concentrais le plus fortement mon attention sur l’idée de critique, je prononçai très nettement en moi-même la phrase suivante : Il faut penser à côté. Cette phrase s’était si bien formée toute seule et à l’improviste, que je ne la compris qu’après coup, comme il arrive lorsqu’on nous adresse brusquement la parole et que notre pensée est ailleurs, Ainsi, l’effort de réflexion que je portais sur l’idée de critique aboutissait à une idée relative aux distractions de l’intelligence ; comme tout à l’heure, en réfléchissant à ces distractions, je m’étais mis justement à penser à la critique[1]. »

Nous trouvons nos idées par digression ; il faut penser à côté : toute la philosophie de l’invention tient dans ces deux formules, On peut dire aussi que tout le livre de M. Souriau tient dans l’observation à laquelle il doit ces formules, Le reste n’est guère qu’un complément, utile à coup sûr, comme sont utiles les pièces justificatives d’une enquête. L’auteur s’est demandé comment il inventait ; il a saisi sur le vif ce procédé, ou pour mieux dire cette allure de son esprit : qui invente en pensant à côté, qui invente par digressions, et il est parti de là pour éliminer par une marche régressive toutes les autres explications plausibles du phénomène. Suivons-le dans cette partie intéressante de sa recherche.

L’Invention n’est pas l’œuvre de la réflexion : cela résulte de la page même que l’on vient de lire. Elle n’est pas davantage l’œuvre de la

  1. Théorie de l’invention, p. 6.