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Je maintiens, au contraire, que c’est une grave erreur de penser que la conscience est le vrai phénomène ou tout le phénomène psychique… J’ai montré ailleurs l’analogie qui existe entre la manière dont le phénomène psychique se révèle et le phénomène chimique suscité par l’action de la lumière sur les sels d’argent. Le processus chimique qui se passe alors ce n’est pas l’apparence violette que prend la lame sur laquelle le chlorure d’argent est étendu ; cette couleur violette n’est que la révélation du processus accompli, c’est-à-dire du phénomène Nous pouvons dire encore que l’apparence violette du sel d’argent ne se produit pas en un instant sans durée, mais dans un cours de temps nécessaire à l’action lumineuse. D’abord la coloration est à peine visible, puis elle le devient davantage, enfin elle devient foncée et presque noire, après une longue exposition aux rayons lumineux. Il en est ainsi de la conscience ; elle doit être d’abord un changement à peine sensible et finalement une révélation distincte et nette. Le moment de la conscience qui nous apparaît dans les cas ordinaires de la vie psychique, c’est son maximum de développement. Sous quelque forme que la conscience d’un phénomène arrive, elle apparaît comme un changement d’état qu’on a l’habitude d’appeler conscient, état de conscience. Or, sous la forme consciente qui croit en clarté et en distinction, tout aussi bien que sous la forme instantanée, la conscience apparaît comme simple et indivisible ; mais, dans le premier cas, elle apparaît comme une succession d’états semblables ne différant que par l’intensité et la clarté. C’est ce qui a fait naître l’illusion que le phénomène psychique est simple et indivisible pour ceux qui en font l’analyse avec la seule observation interne, et que tout le phénomène consiste en cette forme révélatrice, qui n’est pourtant qu’une simple forme et rien de plus. » (P. 301-306.)

On voit par ce résumé comment l’auteur entend le rapport de la conscience à l’inconscient, sans se dissimuler d’ailleurs tout ce qui reste d’obscur dans cette question de la nature de la conscience. Sur la question particulière de la perception, M. Sergi combat l’opinion soutenue par les psychologues anglais que les états de conscience sont successifs et ne peuvent être simultanés qu’en apparence. Il s’appuie sur les récentes expériences de Wundt (voir Revue philosophique, tome XIII, p. 530, et tome XI, p. 431, le résumé de ces expériences) pour soutenir la simultanéité réelle de certains états.

Nous n’avons donné dans cet article qu’un rapide aperçu des nombreuses questions étudiées par M. Sergi. Il nous a paru préférable d’insister sur la partie nouvelle : la théorie de l’onde nerveuse de retour. Il est désirable que cette ingénieuse hypothèse soit soumise au contrôle des faits physiologiques et pathologiques et, si cela est possible, de l’expérimentation. En attendant, ce n’est pas un mince mérite d’avoir ouvert une nouvelle voie aux recherches dans un domaine qui, de nos jours, a été si souvent exploré et par tant d’esprits éminents.

Th. Ribot.