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FOUILLÉE. — expédients en faveur du libre arbitre

mêmes nécessités intérieures de la logique et aux mêmes nécessités extérieures de l’expérience, qu’on peut contrôler une intelligence par une autre, les calculs ou les observations d’un astronome par celles d’un autre astronome, comme la pesée d’une balance par celle d’une autre balance. Si au contraire les balances sont libres, comment se fier à leurs pesées et comment les contrôler entre elles ? Mille thermomètres construits sur le même plan s’accordent à marquer 10° au-dessus de zéro : j’en conclus à la fois que la température est en effet de 10° et que tous les thermomètres doivent être justes. Il est douteux qu’un physicien préfère s’en rapporter à des thermomètres doués de libre arbitre. Voici deux miroirs dont l’un reproduit exactement l’objet et dont l’autre le déforme ; sont-ils de même valeur, comme la vérité et l’erreur dont parle M. Delbœuf, sous prétexte qu’ils sont également nécessités l’un à reproduire l’objet, l’autre à ne pas le reproduire ? Toutes les horloges sont-elles également bien réglées parce qu’aucune ne se règle librement, et M. Renouvier se défie-t-il de sa montre marquant midi parce qu’elle n’est pas libre ? La vérité est une harmonie : un piano n’a pas besoin d’être libre pour qu’on juge s’il est d’accord ; tout au contraire. De même pour l’esprit. Si les accords ou « représentations » de mon esprit dépendent de ma volonté, si je puis me représenter rouge ce qui est bleu, égal à dix ce qui est égal à cinq, c’est alors que tout critérium sera enlevé à la science. Le jour où il suffirait à un astronome d’un acte de libre arbitre pour voir une nouvelle étoile au bout de sa lunette, l’astronomie n’existerait plus. Les partisans du libre arbitre frappent donc sur eux-mêmes en croyant frapper sur leurs adversaires ; l’arme jetée en l’air retombe sur eux. L’ « intérêt » de la science, disons mieux, les nécessités de la science impliquent, quoi qu’en disent MM. Secrétan, Renouvier et Delbœuf, le déterminisme dans les objets et le déterminisme dans les pensées. On ne saurait donc renoncer aux nécessités de la science sous prétexte d’une utilité scientifique. Si Le libre arbitre est utile, ce sera dans l’action et non dans la pensée. Passons donc à ce nouveau point de vue, et examinons si le déterminisme détruit le ressort de toute action.

II

Le libre arbitre et l’action.

M. Secrétan adresse ici ses objections à la forme du déterminisme qu’il estime à la fois la plus récente, la plus plausible et la plus com-