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FOUILLÉE. — expédients en faveur du libre arbitre

vement moléculaire en mouvement de translation, et rupture possible d’équilibre par une action infiniment petite ou même nulle ; 4o emploi du temps au profit de la liberté. Les trois premiers expédients reviennent à des manières de diriger le mouvement dans l’espace ; le dernier est une manière de le gouverner dans le temps.

I. La direction possible des mouvements de translation par une force supérieure est, comme on sait, l’hypothèse cartésienne, que Leibniz a réfutée. M. Naville l’a reprise, « par une réminiscence inconsciente de Descartes, » dit-il, et sans savoir qu’il avait été précédé dans cette voie par Cournot. Cette thèse peut donner lieu à deux sortes d’objections, les unes tirées de ses conséquences, les autres tirées de ses principes. On connaît d’abord l’objection per absurdum proposée par Leibnitz. « Qui nous empêcherait, demandait-il à Descartes, de sauter jusqu’à la lune ? » Mais on peut contester cette conclusion de Leibnitz sur le pouvoir que nous conférerait le clinamen, et dire que ce pouvoir n’est pas nécessairement indéfini. On pourrait imaginer un certain quantum d’énergie à la disposition des êtres libres ; on serait incapable, il est vrai, d’expliquer pourquoi une énergie toute spirituelle et soustraite aux lois de la matière a des bornes. Mais, une fois admise, cette énergie directrice des mouvements n’aurait pas un caractère aussi perturbateur que Leibnitz le suppose, car il faut tenir compte de ce que les mouvements se neutralisent à une certaine distance. Une direction nouvelle du mouvement pourrait être neutralisée à une certaine distance de son point de départ et par conséquent ne rien changer ni à la somme totale des forces et des mouvements, ni même à la direction totale de l’ensemble. Le poisson qui se meut dans la mer à droite ou à gauche n’empêche pas la mer de se soulever et de s’abaisser selon une loi régulière ; il y a compensation des petits effets les uns par les autres quand on considère la masse. Il n’est donc pas entièrement démontré que le pouvoir de diriger un mouvement dans des conditions déterminées et dans une sphère déterminée, comme celle de nos organes, nous donne nécessairement le pouvoir de tout faire et de sauter jusqu’à la lune. Notre action transitive, en un mot, pourrait être réelle, tout en étant limitée. — Voilà ce qu’on pourrait répondre à Leibniz.

Pourtant, il faut le reconnaître, les mouvements se tiennent toujours et sont solidaires. Le petit saut du poisson dans l’eau tient de loin aux mouvements du soleil et des étoiles ; la moindre direction nouvelle, quelque limitée qu’elle fût, changerait la formule mathématique de l’univers. Si un seul homme ne pouvait sauter jusqu’à la lune et encore moins changer le centre de gravité du globe, tous les hommes et tous les animaux réunis, en les supposant doués du pouvoir