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imaginé par Descartes, seraient peut-être capables à la longue de modifier plus ou moins le centre de gravité terrestre et la durée du jour stellaire.

Telles sont les conséquences auxquelles aboutissent logiquement ceux qui admettent le pouvoir directeur ; mais, quelque improbables que soient ces conséquences, elles ne suffisent pourtant pas à réfuter la théorie. C’est donc sur les principes mêmes de cette théorie qu’il faut porter l’examen. Ses partisans prétendent admettre à la fois le principe de la conservation de l’énergie et un pouvoir directeur du mouvement qui, selon eux, n’impliquerait aucune création de force. Nous n’avons donc pas à examiner ici le théorème de la conservation de l’énergie ni les vraies raisons sur lesquelles il se fonde ; la seule question en ce moment est de savoir si ce théorème, une fois admis, est compatible avec le pouvoir de diriger le mouvement. M. Delbœuf et M. Tannery sont pour la négative ; M. Naville et d’autres sont pour l’affirmative[1]. Il nous semble que, pour modifier mécaniquement la direction d’un mouvement et la résultante d’un parallélogramme de forces, il faut, de toute nécessité, ou détruire un des mouvements composants ou introduire et créer un mouvement nouveau. Or comment créer ou annuler du mouvement sans créer ou annuler de la force vive, par conséquent sans faire varier la somme d’énergie qu’on supposait constante ? L’indétermination dans la direction du mouvement est contraire au principe de l’égalité entre l’action et la réaction, qui entraîne comme conséquences : 1o la conservation du mouvement du centre de gravité, 2o la constance de la quantité du mouvement, 3o le principe des aires[2]. Pour admettre avec Épicure et Descartes la possibilité d’un clinamen, il faut donc modifier les thèses fondamentales de la mécanique sur la conservation de l’énergie et attribuer à l’homme une création de force motrice.

Pour échapper à cette conséquence, M. Naville se réfugie dans une série d’hypothèses et d’analogies ; son but est de montrer, contrai-

  1. Nous retrouvons la même opinion dans l’article de M. Grocler que contenait le dernier numéro de la Revue. « La direction, dit-il, n’entre pour rien dans la quantité du mouvement. Si une force ne peut changer d’elle-même sa direction, ce n’est pas en vertu du principe de la conservation de l’énergie… La jouissance de l’espace n’est pas plus que celle du temps défendue aux êtres libres par la loi de la conservation de l’énergie. » (P. 581) « S’il s’agit, dit-il, de forces independantes et distinctes des agents naturels, je reconnaîtrai, même dans une mesure plus large que M. Delbœuf, qu’avec de telles forces on puisse produire des changements sans compromettre la loi de la conservation de l’énergie. » (P. 531.)
  2. Voir M. Tannery, La théorie de la connaissance mathématique (Revue phil., 1879, t.  II, 482). Voir aussi l’étude de M. Delbœuf : Déterminisme et liberté, 1er article.