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de Biran, il dit que la volonté n’est pas cause transitive du mouvement corporel, cause vraiment motrice, et que cependant elle a pour compagnon constant et pour ombre fidèle le mouvement corporel. — Dès lors, demanderons-nous, comment expliquer cette constance ? Il n’y a que deux façons, l’action surnaturelle de Dieu ou une action naturelle. Ou bien il faut dire que, quand nos volontés se produisent, Dieu meut le corps à leur occasion : c’est le miracle des causes occasionnelles. Ou bien il faut dire que c’est la volonté qui explique naturellement le mouvement du corps ; mais comment peut-elle en être l’explication naturelle sans en être la cause, et la cause transitive ? On aboutit donc à cette merveille d’une volonté qui ment sans mouvoir, d’un commencement absolu dans l’ordre mental qui s’accompagne d’un commencement absolu dans la direction des mouvements physiques, sans que l’ordre mental ait pourtant une action vraiment motrice sur l’ordre physique et sans que d’ailleurs il y ait aucune prédétermination ni dans la première série ni dans la seconde. C’est comme si, le soleil se mettant tout à coup à changer de route par un clinamen « imprévisible », la terre se mettait aussi à changer de route de la même manière, sans que cependant il y eût aucune action réelle et réciproque du soleil sur la terre. Pour opérer ce prodige il n’y a d’autre expédient que celui des limites mathématiques, par lequel on essaye de nous persuader qu’une action mécaniquement nulle peut produire un quantum mécanique d’effet. C’est toujours la cause occasionnelle ; seulement il n’y a pas de Dieu pour pousser en nous le corps à l’occasion de la volonté : celle-ci change, le corps change à point nommé, et cependant l’une n’a pas agi sur l’autre. Le coup de pouce que je donne à ma montre fait mouvoir une aiguille sur une autre montre située loin de moi, par exemple dans Sirius, sans que ma montre agisse sur l’autre et sans qu’un horloger habile ait mis des ressorts qui produisent dans les deux, au moment convenable, les mêmes effets prévus. C’est le miracle élevé à sa seconde puissance qui nous est ici présenté comme une solution toute « simple ». C’est même plus qu’un miracle, et on frise la contradiction ; il y a ici, en effet, deux commencements absolus qui sont cependant relatifs l’un à l’autre, deux hiatus qui sont cependant liés par une loi de continuité et d’harmonie.

Admettons néanmoins ces commencements absolus de direction nouvelle dans le corps et ces commencements absolus de volitions nouvelles dans l’esprit, il resterait à demander ce qu’ils peuvent offrir de moral. Une volition et un changement correspondant sortent tout d’un coup du néant par une création du moi, sans lien réel avec mon caractère, avec mon moi ; comment les qualifier, sinon