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TANNERY. — concept de l’infini

les dogmes de l’école devait être acceptée sans réserves. Mais il est au contraire facile d’établir que le mystère en question n’a jamais concerné que certains points particuliers, tandis que, pour l’ensemble de tout le reste, les opinions de Pythagore ont été, dès le premier jour, publiées par lui-même et par ses disciples immédiats, sinon dans des écrits, au moins verbalement.

S’il est constant qu’Héraclite vivait au temps de Darius, c’est-à-dire vers la fin du vie siècle et le commencement du ve, il y a, dans la façon dont il parle de Pythagore et de Xénophane[1], une preuve de la rapidité avec laquelle les opinions philosophiques se transmettaient à cette époque, dans tous les pays de langue hellène. On peut aussi en conclure, au moins à titre de présomption très forte, que c’était du vivant même de Pythagore que Xénophane dirigeait ses railleries contre la croyance du Samien à la métempsycose[2].

Si, d’autre part, nous voyons le poète de Colophon, tout en affirmant l’univers comme conscient, voyant et entendant[3], nier qu’on doive lui attribuer la respiration, il est impossible de méconnaître, dans cette négation, une polémique dirigée contre une doctrine contemporaine. Lorsque, un siècle et demi plus tard, nous rencontrons la même négation dans le Timée de Platon[4], nous ne pouvons guère douter qu’elle n’y concerne une opinion nettement attribuée par Aristote aux Pythagoriens. En tout cas, on ne retrouve cette opinion de la respiration du cosmos chez aucun « physiologue », sauf peut-être Diogène d’Apollonie[5], incontestablement postérieur à Xénophane.

Son rejet formel par ce dernier permet donc de constater qu’il s’agit là d’une doctrine remontant jusqu’à Pythagore lui-même et d’ailleurs publiquement professée par lui. Reste à savoir jusqu’à quel point nous pouvons en dire autant pour la formule de cette doctrine telle que nous la trouvons dans Aristote[6].

« Les Pythagoriciens admettent l’existence du vide (κένον) ; ils disent qu’il pénètre dans le ciel en tant que celui-ci respire le souffle (πνεῦμα) infini, et que c’est ce vide qui délimite les choses. »

Les règles de la critique historique la plus sévère ne peuvent en pareil cas exiger que de faire le départ de ce qui dans le texte pourrait faire partie des points dont l’école a fait mystère à l’origine, ou bien témoignerait d’une élaboration postérieure à Pythagore. Ainsi nous pourrions suspecter, d’une part, toute trace de ce symbolisme

  1. Diogène Laërce, VIII, 6, et IX, 4. — Heracliti fr., Mullach, 14 et 15.
  2. Diogène Laërce, VI, 36. — Xenoph. fr, Mullach, 18.
  3. Diogène Laërce, IX, 19 : Ὅλον δὲ ὁρᾷν, καὶ ὅλον ἀκούειν, μὴ μέντοι ἀναπνεῖν.
  4. Plato, Tim., 33, c.
  5. Ed. Zeller ne l’admet pas, I, p. 269, note 5, traduction Boutroux.
  6. Phys. IV, vi, 7.