Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/626

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
622
revue philosophique

Philosophiquement parlant, comme le dit Teichmüller, un concept n’existe que lorsqu’il est appliqué, lorsque sa forme entraîne des déductions nécessaires ; or nous n’apercevons, à la date où nous sommes, rien de semblable pour le concept qui nous occupe, si l’on fait abstraction de son intervention en géométrie pour la théorie des parallèles, sans aucun doute d’ailleurs connue de Pythagore.

La nécessité logique, subjective, de concevoir comme infini l’espace en tant que support des spéculations géométriques, était certainement évidente dès cette époque. Mais il restait à savoir si cette nécessité avait une valeur objective, si elle s’appliquait à l’espace physique, alors conçu comme lieu de la matière.

Certes la question n’existait probablement pas pour Pythagore, car de son temps les concepts du subjectif et de l’objectif ne pouvaient même point être soupçonnés. Mais, avant un demi-siècle, l’infinitude de la matière et de l’espace va être résolument niée par Parménide, et cette thèse, qui constitue l’originalité principale de ce grand penseur, sera adoptée par Aristote, jouera un rôle prépondérant dans les doctrines de l’antiquité, régnera sur les écoles du moyen âge, et ne succombera que lorsque les démonstrations de l’astronomie auront brisé le cercle où l’imagination humaine restait emprisonnée.

C’est évidemment du moment où, la thèse de Parménide étant posée, l’antithèse fut soutenue contre elle, vers le milieu du ve siècle, que l’on peut considérer le concept de l’infini, non pas, bien entendu, comme absolument élucidé, mais comme constitué intégralement. Il est donc tel chez Mélissus, chez Anaxagore, plus tard chez les atomistes. Au reste, l’école de Pythagore resta fidèle à la doctrine de l’infinitude, et c’est à Archytas[1] que l’on doit le célèbre argument de l’homme à l’extrémité du ciel des fixes et étendant la main au dehors. Mais alors la notion du vide a été introduite, et Archytas ne se prononce pas entre l’existence d’une matière extérieure ou simplement celle d’un lieu.

Pour rechercher au reste quel est le véritable caractère, quels sont les fondements réels de la thèse de Parménide, il est essentiel de bien remarquer qu’à cette étape de la pensée humaine il ne s’agissait ni du subjectif ni de l’objectif, — c’est seulement de notre point de vue moderne que la question se trouve ainsi envisagée, — mais uniquement de la façon dont on devait se représenter l’univers.

Il est clair qu’Anaximandre, posant le principe de l’unité pour l’ensemble des choses, employant lé terme ambigu d’ἄπειρον, et

  1. Simplicius in Arist. Phys., f. 108, a.