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depuis près de soixante ans déjà, tombée, la première de toutes ses sœurs, sous la domination des Lydiens[1]. Mais cet assujettissement, qui se réduisait à l’imposition d’un tribut, n’avait fait que diminuer son opulence, et elle demeurait un foyer de poésie, où, à cette date, brillait notamment l’élégiaque Mimnerme.

Poète aussi, poète avant tout, devait être Xénophane. Sans fortune, ses vers lui furent un gagne-pain, et dès vingt-cinq ans il adoptait la vie errante du rapsode et du trouvère. Presque centenaire[2], il la menait encore, et il atteignit ainsi le temps du règne de Darius, c’est-à-dire au moins l’année 521 avant Jésus-Christ[3].

Si ses voyages l’entrainaient sans doute partout où il pouvait espérer un bon accueil, il ne s’expatria définitivement de l’Ionie que lorsque les Perses[4] vinrent faire peser plus durement le joug de la servitude sur les Hellènes de l’Asie Mineure. À cette époque, Thalès et Anaximandre étaient morts l’un et l’autre. Pythagore, déjà entouré de disciples à Samos, allait bientôt, lui aussi, partir pour la Grande Grèce. Xénophane, d’abord réfugié en Sicile, put donc être témoin des rapides progrès de l’institut pythagorique dans les cités doriennes de l’Italie, alors que lui-même, en relation avec les Phocéens fondateurs d’Elée, chantait l’épopée de leurs aventures, comme il avait déjà chanté jadis la naissance de sa propre patrie[5].

Dans sa longue carrière, le poète de Colophon dut composer une quantité considérable de vers, sur tous les mètres et sur tous les tons. Une très grande partie de ses chants eut d’ailleurs le caractère fugitif de l’élégie, et quoique toute l’antiquité paraisse admettre qu’il a fourni le prototype, sinon le modèle, des poèmes philosophiques de Parménide et d’Empédocle, nous ignorons de fait si les fragments en hexamètres d’un caractère didactique qui nous ont été conservés comme de Xénophane ont jamais appartenu à un seul et même ensemble, ou si, au contraire, ils n’ont point été tirés d’œuvres distinctes, composées à des dates éloignées, s’ils n’ont notamment pas fait partie, soit tous, soit au moins quelques uns, des Parodies et des Silles[6], où il déployait sa verve ironique et que devait plus tard imiter le sceptique Timon de Phlionte.

Tout poète vraiment digne de ce nom a, plus om moins consciemment, élaboré un fonds d’opinions religieuses, philosophiques, morales, qui se font jour dans ses œuvres et en constituent la véritable

  1. Hérodot., I, 14.
  2. Xenophan. fr. , 2 (Mullach), éd. Didot.
  3. Apollod. apud Clem. Alex., loc. cit.
  4. Xenophan. fr. , 17.
  5. Diog. Laert., IX, 20.
  6. Athénée, II. p. 54, E. — Strabo, XIV, 28.