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ANALYSES. — W. GRAHAM. The Creed of science.

et au delà, et cela suffit à détruire tout matérialisme comme aussi tout idéalisme ; car ce quelque chose, cet x transcendant est sans doute une substance dont la matière et la pensée ne sont que des modes ou des symboles, comme la vu Spinoza. C’est Dieu, nous devons la croire, et la science le démontre en trouvant partout la loi et l’ordre. Il serait puéril de dire que Dieu n’est autre chose que la matière ; la matière, pour nous, n’est qu’un phénomène, non une réalité.

Mais voici que le matérialisme emprunte à l’évolutionisme une force nouvelle. On pouvait croire, malgré tout, à un esprit suprême ; la preuve des causes finales était solide encore ; le darwinisme la renverse. Les merveilles de l’organisation ne sont que l’œuvre perpétuellement recommencée du progrès des siècles ; tout s’explique par l’adaptation au milieu, la sélection et l’hérédité : il n’y a ni finalité ni intelligence ordonnatrice. Dira-t-on avec Kant et Matthew Arnold que Dieu reste le postulat de la moralité ? Mais Spencer, Lubbock, Tylor, etc., nous apprennent que la moralité est née de la sociabilité, issue elle-même des deux instincts de conservation et de reproduction ; les vertus ont une genèse naturelle ; il n’y a rien de transcendant dans la moralité, pas plus que dans la science, l’art ou la religion, qui sont venus après elle, œuvres humaines comme elle. Partout la continuité ; la création n’est qu’un mot dont nous couvrons notre ignorance, Nous ne comprenons Pas, à vrai dire, ces transformations ; mais savons-nous jamais le pourquoi, et la métaphysique n’est-elle pas stérile ?

Ainsi le matérialisme renaît et se dresse comme une « hydre formidable ». Plus que jamais il importe de le combattre. Il nous montre le mécanisme de l’univers : il en oublie l’âme et le ressort. Mais passons ; nous acceptons le matérialisme, s’il prouve qu’il n’y avait au commencement que de la matière. Toute la discussion est là. N’y avait-il rien au delà, pas même un principe d’évolution, un x encore une fois, mais analogue à un dessein et capable d’expliquer le progrès ? car il y a, quoi qu’on dise, quelque chose de nouveau dans chaque synthèse supérieure. Enfin, et c’est là que nous en revenons, l’univers est-il né du hasard ? Nous ne pouvons le croire, et voilà pourquoi nous nions l’athéisme, qui est essentiellement uni à la théorie du hasard. « Je suis optimiste, dit M. Graham ; c’est une foi, mais elle est fondée en raison. Je crois que les plus belles choses de la terre valent les meilleures qui existent quelque part, et je crois surtout à un dessein, à une volonté présente dans l’univers, en me gardant bien d’ailleurs de lui donner un sens théologique ou anthropomorphique. »

En somme, idéalisme et matérialisme sont des cadres trop étroits : l’absolu les dépasse infiniment ; il faut en revenir à la conception profonde de Spinoza qui est aussi celle de Gœthe, de Schleiermacher, de Kant même et de Spencer. Nous arrivons ainsi à un panthéisme empruntant à Spinoza l’idée de l’absolu et à Hegel l’idée de son développement dans le temps. Cet inconnaissable dont nous ne pouvons affirmer que l’existence, l’infinité et l’incompréhensibilité même, et que nous ne pouvons