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instructifs, et leur succès est souhaitable ; il est difficile malheureusement, parce qu’il y manque souvent le premier capital et surtout l’amour et la confiance réciproques ; nous nous heurtons toujours à l’imperfection humaine. Il reste un espoir : c’est que l’aristocratie de l’intelligence et de la vertu entreprenne la croisade sociale ; mieux encore, qu’un réformateur de génie prenne en main la cause des pauvres. De grands esprits les ont défendus en ce siècle (Hugo, Louis Blanc, S. Mill) ; le Luther de la réforme sociale n’est pas venu. Mais, que les législateurs y prennent garde, il faut compter avec les agitations socialistes ou nihilistes, et la justice est le seul remède efficace.

III. De l’avenir de la religion et de la morale. — En elle-même la science n’est pas athée. En est-il de même des philosophies qui se prétendent scientifiques ? Le positivisme refuse de poser la question, ce qui revient en pratique à l’athéisme, et c’est son tort, comme c’est le défaut de toute philosophie exclusivement expérimentale. Le matérialisme se prononce nettement pour l’athéisme ; mais aussi quelle tentative « vaine et stupide » que celle de tout réduire aux atomes et au mouvement ! Chacun de ces atomes possédât-il la vie, la pensée même, comme les monades de Leibnitz, il resterait toujours à expliquer l’ordre du monde, et il est d’autre part beaucoup plus philosophique de trouver dans le supérieur la raison de l’inférieur. L’idée de force et la loi de la conservation de l’énergie invoquées par les modernes ne sauvent pas le matérialisme. Il s’agit toujours, après tout, d’une force ou d’une matière phénoménales, jamais d’une force réelle, d’une substance ; autrement, cette réalité serait aussi bien concevable comme esprit. Le phénoménisme de Hume est la seule position possible pour le matérialisme moniste, et c’est une théorie rejetée par les plus grands penseurs, Le rapport chronologique de cause n’explique rien ; la pensée reste distincte de la matière et n’en est pas un effet. L’erreur des matérialistes est de ne rien voir que l’énergie physique ; l’homme est alors une machine, un jeu de forcés physico-chimiques sans liberté ni initiative. La conscience n’est qu’un produit accessoire, « a bye-product, » dit Tyndall, sorte de symbole de mouvements atomiques mystérieux. Mais alors, si la conscience est distincte et isolée de la matière, nous revenons au dualisme cartésien, ou bien, comme elle est l’instrument de toute connaissance, nous avons le droit de dire que le monde extérieur et nos organes même ne sont que des images ou des symboles de la réalité véritable ; nous aboutissons à l’idéalisme, à moins que nous n’affirmions avec Platon et Kant l’existence transcendante de cette réalité.

Eh bien ! malgré tout, dit l’auteur, nous maintenons que la pensée est une énergie. Elle met l’homme et le monde en mouvement ; donc elle agit aussi bien sur les atomes que ceux-ci sur elle. Si la loi de la conservation de l’énergie est encore valable ici, il faut qu’elle s’élargisse, car l’énergie spirituelle non seulement se conserve, mais encore progresse indéfiniment. Il y a donc quelque chose derrière le phénomène