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ANALYSES. — W. GRAHAM. The Creed of science.

ceux de nos ancêtres que le papillon à la chrysalide ou l’adulte à l’embryon. Ainsi les évolutionnistes n’échapperont aux difficultés qu’en accordant, et Spencer le fait volontiers, que la conscience à une valeur indépendante de son origine. Mais celui qui en sent vivement le caractère sacré n’a pas besoin d’en savoir le genèse ; il l’accepte avec une foi entière, sans vérifier, de peur d’y trouver une illusion ; il fait son devoir et s’en tient là. « Viser à une réalisation plus compréhensive de la justice dans la société ou dans le monde, » n’appartient qu’à l’homme d’État, au réformateur ; il faut alors se préoccuper des conséquences possibles, des exigences de la réalité, saisir le moment opportun, et, au besoin, dans une crise, défendre la justice par quelque coup d’éclat, C’est le rôle des « maitres de l’action » et des grands esprits, comme c’est le devoir des hommes supérieurs d’être les apôtres et, s’il le faut, les martyrs de la vérité.

Ce sont là des principes que la science peut et doit accepter, en répondant d’ailleurs à l’idéalisme que l’étude des germes et des racines n’enlève rien à la beauté de la fleur. Les hommes d’aujourd’hui ne sont pas moins capables d’enthousiasme pour les idées humanitaires que ceux des âges passés pour les idées religieuses : les exemples abondent depuis la Révolution française jusqu’à nos jours. Il faut à l’homme un idéal et une foi, même au prix d’une désillusion ; c’est un fait que l’on peut interpréter, mais non contester. La science même découvre dans l’organisme physique le fondement inébranlable de la moralité : il réside dans la structure des cellules cérébrales, qui ne se modifie que lentement et toujours pour un progrès nouveau. Les idées morales changent et s’épurent ; mais les vertus antiques et les vertus sociales sont impérissables aussi bien que la religion, parce qu’elles sont nécessaires, et, si la moralité devient moins profonde en devenant moins pénible, elle gagne en étendue ce qu’elle perd en intensité.

Malgré tout cependant, il existe entre le fait et le droit une contradiction qui n’a pas été levée par les docteurs de l’évolution ; et le conflit existera toujours parce, qu’il est dans la nature, dans l’opposition irréductible entre l’égoïsme et l’altruisme, Ne désespérons pas toutefois ; il y a une tendance constante à l’harmonie, et la science nous montre un accord de jour en jour mieux compris entre les intérêts. Notre régime individualiste, souvent si douloureux, mais qui s’adoucit en s’élargissant, a été un progrès et n’est qu’une étape entre le passé et l’avenir. La vertu parfaite n’en reste pas moins un idéal ; l’égoïsme et la concurrence sont des faits irréductibles, et il faudra bien que la morale transcendante s’accommode de ces conclusions de la science si elle ne peut les réfuter.

Nous n’avons pas voulu interrompre ce résumé, afin de conserver autant que possible la physionomie de l’ouvrage ; mais il faut lire le livre pour en apprécier tout le mérite littéraire, la clarté et l’élégance du style, l’abondance de développements toujours intéressants, la chaleur et la vivacité de l’expression presque toujours heureuse et parfois élo-