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hommes en ont-ils eu l’idée, et comment s’y sont-ils pris pour les fonder. « L’éloquence, qui suffit à l’orateur romain, ne nous suffit pas. » Puis notre philosophe examine et juge le Contrat social de Rousseau ; de l’aveu de Rousseau, il manque de la vraie nature d’un contrat et de sa force obligatoire ; enfin, un contrat ne saurait absolument pas être le dernier fondement du droit ; il lui faut la base d’une conscience du droit existant avant lui et en dehors de lui. « Le contrat est un fondement du droit, mais pas le fondement du droit[1]. »

Laissons l’idée d’invention mise en avant au siècle précédent (comme pour l’origine du droit ou pour celle du langage). La fameuse question : La langue est-elle d’origine divine ou humaine, ne tourne qu’autour d’une question mal posée. On arrive toujours à ceci : La langue et de même la coutume (mos) ne peut être enseignée, transmise (par tradition ou par l’éducation). Le noyau le plus intime, le vrai germe de la conscience morale et linguistique ne peut venir à l’homme du dehors ; une partie des mœurs peut être enseignée, mais non ce qui s’y trouve de moral, le sentiment du devoir, si primitivement le sentiment moral n’existe pas. L’Écriture elle-même ne nous renseigne pas là-dessus d’une manière complète.

Restent les mœurs innées ou du moins les idées morales innées, ce qui est contredit par l’expérience. Avec cette théorie des idées innées, nous sommes encore devant une question mal posée. Idées et mœurs se forment par un processus psychique.

D’autres ont pensé que l’homme avait appris les mœurs des animaux. En tout cas, il n’a pu apprendre d’eux l’amour des parents, qui est spécifiquement humain.

Lazarus leur donne finalement pour origine un instinct moral de homme ; mais, comme nous l’avons dit ailleurs, il fait ses réserves sur ce mot instinct, qu’il reproche aux Français de prodiguer. Chez l’homme seul il y a progrès réel, parce que l’un apprend de l’autre et sur ce progrès repose l’accumulation des progrès des générations. Puis l’homme seul a l’instrument qu’exclut l’instinct et par lequel il se crée des forces. Lui aussi possède primitivement des instincts, mais ces activités ne persistent pas longtemps sous cette forme. L’exemple le plus éclatant d’un entier entrelacement de celui-ci avec des puissances idéales s’offre à nous dans la grande distance de l’accouplement au mariage. On peut dire : La coutume (die Sitte) de l’homme commence où cesse l’instinct. Non, création vraiment humaine, les mœurs doivent être le résultat d’un processus psychique, Mais de quelle nature est ce processus ? comment a-t-il lieu ? L’anthropologiste apparaît ici, citant avec éloge les travaux de Waitz, de Bastian, de Post, de Flügel, des voyageurs. Voilà les faits qu’il faut classer avec ordre et interpréter psychologiquement ; il y a là bien des problèmes historiques à résoudre.

  1. Une note relative à la formule finale des contrats jette, dit M. Lazarus, une lumière psychologique sur la manière vulgaire de concevoir aujourd’hui le contrat.