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sentiments primitifs et est encore beaucoup plus pressé de donner une forme extérieure aux éléments de sa vie intérieure ; il conserve donc avec amour toute forme une fois trouvée.

Le souvenir est la base de la conscience. Le vrai noyau de celle-ci est le jugement involontaire et nécessaire sur l’action, se manifestant d’abord sans doute sous la forme du sentiment. Ce simple fait mécanique de la conscience, déjà signalé par Kant, qu’il est presque impossible d’écarter les représentations qui émergent, pénètre profondément dans la structure du monde idéal. Le souvenir est la vraie révélation du divin dans l’homme.

Puis la coutume, comme le général, est opposée à l’individuel, ce qu’il y a de fixe et d’uniforme à ce qui est fortuit et changeant. Les mœurs forment une masse séparée de forces psychologiques qui domine le cours de la vie et par suite celui du processus psychologique. Enfin l’auteur montre comment naît la conscience collective et sa domination spirituelle.

M. Lazarus répond négativement, au nom de la psychologie (p. 386), à la question : Y a-t-il eu un âge d’or, ou les hommes ont-ils été parfaits primitivement ? Mais il insiste sur l’importance des temps où les mœurs se créent ; partout, dans les temps suivants, les inventeurs des formes deviennent dieux ; après eux viennent les épigones ; après la forme, la formule qui contient un germe de mort. La croissance des germes idéalistes est bien différente chez les divers peuples, comme chez les individus. Que de temps n’a-t-il pas fallu au monothéisme pur pour se propager !

Jusqu’ici, l’auteur n’a cherché à représenter le processus de la création des mœurs que d’une manière abstraite et en général ; il s’agit maintenant d’en indiquer de plus près la nature et le caractère déterminé. Il y aurait grand avantage à soumettre en même temps à la critique les idées éthiques fondamentales qui ont cours, afin de prouver comment les divers systèmes de morale n’en ont toujours fait ressortir qu’un élément isolé.

Il montre les inconvénients d’une liaison trop étroite de la morale et de la psychologie, de ce qui est changeant (la vie réelle, objet de la seconde) avec ce qui doit montrer les formes idéales éternelles de la moralité. Une psychologie mieux fondée devra avant tout séparer les éléments moraux des actions réelles[1], remplissant ainsi la tâche d’une analyse chimique.

Il y a encore un autre avantage aujourd’hui à pénétrer plus profondément dans la psychologie de la vie éthique. Kant n’était pas arrivé par la voie des idées morales à satisfaire les besoins idéalistes de l’homme. Dans ces derniers temps, sous l’influence de plus en plus grande des sciences naturelles, s’est développée l’opposition la plus profonde entre le mécanisme et la téléologie. Notre esprit cherche les

  1. Voir ce qu’il dit p. 86 pour l’esthétique.