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ANALYSES. — M. LAZARUS. Das Leben der Seele.

Le sentiment du droit a déjà dû se révéler dans le cercle de la famille ; cette idée ne peut être sortie, comme certains le veulent, d’une guerre de tous contre tous ; il a dû déjà y avoir, dès les temps les plus anciens, un droit d’héritage, pour éviter les contestations ; partout nous voyons la notion de la propriété ; l’inclination au vol même en est la preuve. La plupart des coutumes religieuses aussi se rattachent aux destinées simples, toujours les mêmes de la vie de famille ; non seulement les besoins extérieurs, mais des besoins intérieurs unissent les parents et les enfants : la naissance, le mariage, la mort, l’énigme du devenir sont partout l’objet de mystères religieux.

L’honneur est une autre espèce de l’élargissement du moi ; un sentiment tout à fait primitif et absolument universel ; l’appréciation morale de soi-même, c’est plus que la simple conscience du moi ; à fortiori la préoccupation de ce qui se passe dans l’âme d’autrui. On se groupe autour du plus honoré, dont le jugement confère à son tour de l’honneur ; la masse devient sous ce chef une camaraderie pleine d’émulation. Puis les hommes éprouvent un plaisir primitif à vivre ensemble. C’est le libre lien de la Genossenschaft, qui rend le lien des âmes plus noble, plus original.

Il ne faut pas séparer la communauté fondée par la religion de la communauté utile ou morale. Plus nous remontons historiquement, plus tout est lié dans l’âme. La séparation ne s’accentue que plus tard. Ensuite l’homme cherche de nouveau l’unité par un symbole poétique ou artistique. Bien différentes aussi sont les relations entre le maitre et le serviteur à l’époque patriarcale, au temps du divin porcher et dans le noir esclavage d’Amérique et l’esclavage blanc d’Europe où un fil microscopique réunit les âmes. Ne voir partout que l’égoïsme, comme certains philosophes français, c’est voir l’homme renversé ; l’âme en triomphe chez les races nobles et à culture élevée ; voilà ce qui distingue la civilisation de la barbarie.

La terre tourne autour de son axe, dit l’auteur en finissant, mais en même temps autour d’un autre centre, le soleil ; c’est ainsi que la vie terrestre de l’homme tourne autour des fins du moi (der eigenen Ichheit) ; mais en dehors de celui-ci est le soleil de l’idée, du bien, etc. Tous les esprits des hommes ou pour le moins des races supérieures se meuvent, en vertu de la nature originairement noble du genre humain, d’après les lois d’une force éternelle d’attraction, autour de cette idée de la bonne fin (Zweckes), autour de cette idée dont nous pressentons qu’elle pénètre le grand tout de la création, dont nous savons qu’elle doit pénétrer tout l’empire de l’humanité.

Il nous resterait maintenant à traiter celle de ces études que nous avons réservée pour la fin (le mélange et la coopération des arts) et qui occupe la seconde place dans le livre de M. Lazarus ; il ne lui a pas consacré moins de 180 pages, c’est-à-dire presque la moitié du volume. Nous l’avons étudiée en détail, mais nous y trouvons une analyse si fine, si pénétrante, de la musique surtout, élucidée par de nombreux exem-