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TH. RIBOT. — la volonté comme pouvoir d’arrêt

ment intenses (les idées fixes peuvent servir de type). Ils passent à l’acte avec une fatalité, une rapidité presque égale à celles des réflexes. Ce sont les idées « qui nous touchent ». L’ancienne psychologie, affirmant un fait d’expérience vulgaire, disait dans son langage que l’intelligence n’agit sur la volonté que par l’intermédiaire de la sensibilité. En laissant de côté ces entités, cela signifie que l’état nerveux qui correspond à une idée se traduit d’autant mieux en mouvement qu’il est accompagné de ces autres états nerveux (quels qu’ils soient) qui correspondent à des sentiments. Cette traduction faite, on comprend pourquoi nous sommes si près de la hase précédente, pourquoi l’action nerveuse est plus énergique, agit sur plus d’éléments.

La plupart des passions, dès qu’elles dépassent le niveau du pur appétit, rentrent dans ce groupe comme principes d’action. Toute la différence n’est qu’en degré, suivant que, dans le complexus ainsi formé, les éléments affectifs prédominent ou inversement[1].

2o Le deuxième groupe est le plus important pour nous. Il représente l’activité raisonnable, la volonté au sens courant du mot. La conception est suivie d’un acte après une délibération courte ou longue. Si l’on réfléchit, on trouvera que la plupart de nos actions se ramènent à ce type, déduction faite des formes précitées et des habitudes. Que je me lève pour prendre l’air à ma fenêtre, ou que je m’engage pour devenir un jour général, il n’y a qu’une différence du moins au plus, une volition très complexe et à longue portée comme la dernière devant se résoudre en une série de volitions simples, successivement adaptées aux temps et aux lieux. La tendance à l’acte n’est ni instantanée ni violente. L’état affectif concomitant est modéré. Beaucoup de ces actes qui forment le train ordinaire de notre vie ont été à l’origine accompagnés d’un sentiment de plaisir, de curiosité, d’utilité. Maintenant le sentiment primitif s’est affaibli, mais le lien entre l’idée et l’acte s’est établi ; quand elle naît, il suit.

3o Avec les idées abstraites la tendance au mouvement est à son minimum. Ces idées étant des représentations de représentations, de

  1. L’indépendance relative de l’idée et du sentiment comme causes de mouvement est nettement établie par certains cas pathologiques. Il arrive que l’idée d’un mouvement est à elle seule incapable de le produire ; mais, si l’émotion s’ajoute, il se produit. Un homme atteint de paralysie ne peut par aucun effort de volonté mouvoir son bras ; tandis qu’on le verra s’agiter violemment sous l’influence d’une émotion causée par l’arrivée d’un ami. Dans les cas de ramollissement de la moelle épinière, une émotion, une question adressée au malade peut causer des mouvements plus violents dans les membres inférieurs sur lesquels sa volonté n’a pas d’action.