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TH. RIBOT. — la volonté comme pouvoir d’arrêt

transforme en mouvement ; c’est la loi ; mais il faut expliquer pourquoi il ne se transforme pas. Sans doute, on peut supposer théoriquement que l’arrêt vient de deux tendances contraires qui s’entravent ou s’annihilent : cela supprimerait toute difficulté. Peut-être, un jour, cette explication sera valable ; actuellement, la physiologie est à peu près muette sur ce point[1]. Dans cet état d’ignorance, examinons la question de notre mieux.

D’abord, il y a des cas où l’arrêt n’a pas besoin d’être expliqué, ceux où l’incitation volontaire cesse d’elle-même : quand nous jetons de côté, par exemple, un livre décidément ennuyeux. D’autres cas paraissent s’expliquer, comme nous venons de le dire. Nous arrêtons volontairement le rire, le bâillement, la toux, certains mouvements passionnés, en mettant en action, à ce qu’il semble, les muscles antagonistes.

Pour les cas où l’on ignore comment l’arrêt se produit, où le mécanisme physiologique reste inconnu, la psychologie pure nous apprend encore quelque chose. Prenons l’exemple le plus banal : un accès de colère arrêté par la volonté. Pour ne pas nous exagérer le pouvoir volontaire, remarquons d’abord que cet arrêt est loin d’être la règle. Certains individus en paraissent tout à fait incapables. Les autres le sont très inégalement ; leur puissance d’arrêt varie au gré du moment et des circonstances. Bien peu sont toujours maîtres d’eux-mêmes.

Il faut, pour que l’arrêt se produise, une première condition : le temps. Si l’excitation est si violente qu’elle passe aussitôt à l’acte, tout est fini ; quelque sottise qui s’ensuive, il est trop tard. Si la condition de temps est remplie, si l’état de conscience suscite des

  1. On peut remarquer que la majorité des physiologistes ne considèrent le mouvement volontaire que sous sa forme impulsive, qui s’explique facilement. Mais comment expliquer qu’une excitation produise une action suspensive ? Quelques-uns admettent des nerfs d’arrêt ou pour mieux dire certaines cellules capables de supprimer une excitation transmise, comme d’autres sont capables de la renforcer. C’est une question extrêmement obscure et ni la plupart refusent de s’engager. Ceux qui expliquent le plus simplement l’action d’arrêt ne voient elle qu’un autre aspect de l’action de décharge, le résultat d’un conflit de forces. L’excitation qui est normalement produite par quelque stimulus externe peut être arrêtée par une excitation antérieure ou contraire. Ainsi le nerf excité par un agent chimique ou mécanique ne réagira pas s’il est traversé par un courant constant, quoique ce courant constant ne produise pas lui-même une contraction constante. Enlevez les électrodes et l’excitation chimique ou mécanique produira son effet. On peut renverser l’expérience. Si l’on place le nerf dans une solution saline, les muscles entreront en contraction violente ; si l’on applique les électrodes au nerf, les contractions cesseront subitement, pour recommencer quand les électrodes seront enlevées. (Wundt, Mechanik der Nerven, Lewes, Physical Basis of Mind, p. 300, 301. Onimus, La philosophie positive, 1868, tome II, p. 358.)