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Ces hypothèses et d’autres analogues[1] ont été fort critiquées, et beaucoup de physiologistes admettent simplement que, à l’état normal, les excitations se répartissent à la fois dans le cerveau par une voie ascendante et dans la moelle par une voie transverse ; que, au contraire, dans les cas où le cerveau ne peut jouer un rôle, les excitations ne trouvant plus qu’une seule voie ouverte, il en résulte une sorte d’accumulation dont l’effet est une excitabilité réflexe exagérée.

Dans ces derniers temps, Ferrier[2], se plaçant à un point de vue dont l’importance psychologique est évidente, a admis dans les lobes frontaux l’existence de centres modérateurs qui seraient le facteur essentiel de l’attention.

Laissons de côté, pour le moment, ces hypothèses pour nous en tenir aux seules données de la psychologie. On ne peut nier que beaucoup de volitions aient pour fin d’arrêter, d’empêcher des mouvements, et qu’en ce sens la volonté est un pouvoir d’inhibition, non d’impulsion. Pour beaucoup de cas ce fait s’explique très bien par un simple antagonisme entre les états de conscience, quoi qu’on puisse penser des centres d’arrêt.

La lutte entre les états de conscience est d’observation vulgaire, quoiqu’elle ait été souvent obscurcie par des conceptions métaphysiques sur l’âme et ses facultés. Faut-il rappeler l’adage hippocratique : « Duobus doloribus simul obortis, non eodem loco, vehementior obscurat alterum » ? L’école de Herbart a fait de cette question une étude approfondie et montré que le mécanisme de la conscience consiste en une lutte entre les représentations. En ce qui concerne la volonté, le conflit des motifs (c’est-à-dire des états de conscience qui tendent à se réaliser, à passer à l’acte) est constamment invoqué. Qu’on remarque bien cependant que l’axiome fondamental posé plus haut : « Tout état de conscience a toujours une tendance à s’exprimer par un mouvement, » nous donne ici une difficulté à résoudre.

La doctrine courante admet que la volonté est un fiat auquel les muscles obéissent, on ne sait comment. Pour cette doctrine, il importe peu que le fiat commande un mouvement ou un arrêt. Si l’on admet comme nous que le réflexe est le type et la base de toute action, il n’y a pas à chercher pourquoi un état de conscience se

  1. Pour l’historique complet de la question, on peut consulter Eckhard. Physiologie des Rückenmarks dans la Physiologie de Hermann, 2e volume, 2e partie, p. 33 et suiv. On y trouvera les expériences et interprétations de Setschenow. Goltz, Schiff. Herzen, Cyon, etc., etc.
  2. Ferrier, Les fonctions du cerveau, p. 103, 104.