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TH. RIBOT. — la volonté comme pouvoir d’arrêt

culier, que voyons-nous ? L’état de conscience primitif (colère) a évoqué des états antagonistes qui varient nécessairement d’un homme à un autre : idée du devoir, crainte de Dieu, de l’opinion, des lois, des conséquences funestes, etc. Il s’est produit par là un deuxième centre d’action, c’est-à-dire, en termes physiologiques, une dérivation de l’afflux nerveux, un appauvrissement du premier état au profit du second. Cette dérivation est-elle suffisante pour rétablir l’équilibre ? L’événement seul donne la réponse.

Mais quand l’arrêt se produit, il n’est jamais que relatif, et son seul résultat est d’aboutir à une moindre action. Ce qui reste de l’impulsion primitive se dépense comme il peut, par des gestes à demi contenus, des troubles dans les viscères ou par quelque dérivation artificielle, comme ce soldat qui, pendant qu’on le fusillait, mâchait une balle pour ne pas crier. Très peu sont assez bien doués par la nature et façonnés par l’habitude pour réduire les réflexes à des mouvements imperceptibles.

Cette dérivation de l’influx nerveux n’est donc pas à proprement parler un fait primitif, mais un état de formation secondaire, constitué aux dépens du premier par le moyen d’une association. Remarquons encore que, outre la naissance de ces deux centres d’action antagonistes, il y a d’autres causes qui tendent à affaiblir directement les impulsions primitives.

Il peut sembler surprenant qu’une impulsion violente cède devant de froides idées, devant des états de conscience dont la tendance motrice est assez faible : c’est qu’il y a par derrière eux une force accumulée latente, inconsciente.

Pour comprendre cet apparent miracle, il ne faut pas considérer l’adulte éduqué, réfléchi, mais l’enfant. Chez celui-ci (le sauvage, l’homme mal dégrossi ou inéducable s’en rapprochent), la tendance à l’acte est immédiate. L’œuvre de l’éducation consiste justement à susciter ces états antagonistes : et il faut entendre par éducation aussi bien celle que l’enfant doit à sa propre expérience que celle qu’il reçoit d’autrui. De plus, il entre en jeu un élément affectif de la plus haute importance dont nous n’avons rien dit. Les sentiments ne sont pas tous des stimulants à l’action ; beaucoup ont un caractère dépressif. À son plus haut degré, la terreur anéantit : elle se traduit par des états psycho-physiologiques dont le caractère suspensif est évident. Descendons de ce maximum à la crainte modérée, l’effet dépressif diminue, mais sans changer de nature. Or comment arrête-t-on les mouvements de colère chez l’enfant ? Par les menaces, les réprimandes ; c’est-à-dire par la production d’un nouvel état de conscience à caractère déprimant, propre à paralyser