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l’action. « Une enfant de trois ans et demi, dit M. B. Perez, comprend à l’air du visage, au ton de voix, qu’on la réprimande : alors son front se plisse, ses lèvres se crispent convulsivement, font un instant la moue, ses yeux s’humectent de larmes, elle est près de sangloter[1]. » L’état nouveau tend donc à supplanter l’autre non seulement par sa propre force, mais par l’affaiblissement qu’il inflige à l’être tout entier.

Si, malgré des menaces répétées, l’arrêt ne se produit pas, l’individu est peu ou point éducable sous ce rapport. S’il se produit, il en résulte, en vertu d’une loi bien connue, qu’une association tend à s’établir entre les deux états ; le premier éveille le second, — son correctif et, par l’habitude, l’arrêt devient de plus en plus facile correctif, et rapide. Chez ceux qui sont maîtres d’eux-mêmes, l’arrêt se produit avec cette sûreté qui est la marque de toute habitude parfaite. Il est clair, d’ailleurs, que le tempérament et le caractère importent ici autant que l’éducation.

Le lecteur peut appliquer l’analyse qui précède à tout autre état de conscience à caractère impulsif, tel qu’un violent amour refréné.

Je n’insisterai pas sur les cas où l’antagonisme est inverse : la tendance primitive étant l’arrêt, la tendance secondaire l’action, comme cela se produit chez l’homme qui surmonte sa peur. C’est évidemment un de ces cas d’activité idéo-motrice étudiés plus haut, mais sous une forme plus complexe, parce qu’il y a une forte résistance à vaincre et que l’idée motrice est souvent un groupe d’idées.

En somme, le phénomène d’arrêt, autant du moins qu’il ne concerne que les muscles volontaires (des membres supérieurs et inférieurs, du visage, de la voix, etc.), peut s’expliquer, d’une manière suffisante pour notre dessein, par une analyse des conditions psychologiques où il se produit, quelque opinion qu’on ait sur le mécanisme physiologique. Sans doute, il serait désirable d’y voir plus clair, d’avoir une idée plus nette du modus operandi, par lequel deux excitations presque simultanées se neutralisent. Si cette question obscure était vidée, notre conception de la volonté comme puissance d’arrêt deviendrait plus précise, peut-être autre. Il faut se résigner à attendre ; nous retrouverons d’ailleurs sous d’autres formes ce difficile problème.

  1. Revue philosophique, février 1882, p. 163.