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Il n’est donc en rien nécessaire de faire du moi une entité ou de le placer dans une région transcendante, pour lui reconnaître une causalité propre. C’est un fait d’expérience très simple, très net ; le contraire ne se comprend pas.

Physiologiquement, cela signifie que l’acte volontaire diffère et du réflexe simple où une seule impression est suivie d’une seule contraction, et des formes plus complexes où une seule impressions est suivie d’un ensemble de contractions ; qu’il est le résultat de l’organisation nerveuse tout entière, qui reflète elle-même la nature de l’organisme tout entier et réagit en conséquence.

Psychologiquement, cela signifie que l’acte volontaire, sous sa forme complète, n’est pas la simple transformation d’un état de conscience en mouvement, mais qu’il suppose la participation de tout ce groupe d’états conscients, ou subconscients, qui constituent le moi à un moment donné.

Nous sommes donc fondés à définir la volonté une réaction individuelle et à la tenir pour ce qu’il y a en nous de plus intime. Le moi, quoique un effet, est une cause. Il l’est au sens le plus rigoureux, de façon à satisfaire toutes les exigences, fût-ce celle de Carlyle : « He stands thereby, though in centre of immensities, in the conflux of eternities, yet manlike towards God and man. »

En résumé, du réflexe le plus bas à la volonté la plus haute, la transition est insensible, et il est impossible de dire le moment où commence la volition propre, c’est-à-dire la réaction personnelle. D’un extrême à l’autre de la série, la différence se réduit à deux points : d’un côté, une extrême simplicité ; de l’autre, une extrême complexité ; — d’un côté, une réaction toujours la même chez tous les individus d’une même espèce ; de l’autre, une réaction qui varie selon l’individu, c’est-à-dire d’après un organisme particulier limité dans le temps et l’espace. Simplicité et permanence, complexité et changement vont de pair.

Il est clair qu’au point de vue de l’évolution toutes les réactions ont été à l’origine individuelles. Elles sont devenues organiques, spécifiques, par des répétitions sans nombre dans l’individu et la race. L’origine de la volonté est dans cette propriété qu’a la matière vivante de réagir (nous reviendrons sur ce point important dans la suite de ce travail) ; sa fin est dans cette propriété qu’a la matière vivante de

    conscience, et entre antres ceux qu’il est dit vouloir, sont déterminés par cette infinité d’expériences, autant du moins qu’ils ne sont pas produits par des impressions immédiates sur les sens. » (Herbert Spencer, Principes de psychologie, t. I, § 249.)