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ANALYSES ET COMPTES RENDUS


Liard (Louis). — Descartes. Paris, Germer Baillière, 1882.

S’il est un philosophe qu’en France les historiens de la philosophie puissent se flatter de connaître en sa plus familière intimité, c’est certainement Descartes. Il n’est pas très éloigné de nous : il a écrit dans notre langue ; ses ouvrages ne sont pas fort nombreux et souvent reproduisent en termes presque identiques les mêmes doctrines, son style est clair, malgré ses périodes un peu longues et enchevêtrées. On pouvait croire, après que tant d’historiens ont étudié et commenté sa philosophie à des points de vue différents, que le sujet était épuisé, et que nul ne se hasarderait plus à y revenir. C’eût été une illusion. Sur ce sujet, pas plus que sur aucun autre peut-être, le dernier mot n’était pas dit. Toutefois, après tant de travaux remarquables et que rien d’ailleurs ne fera oublier, il pouvait sembler téméraire de consacrer encore à Descartes un volume entier. Hâtons-nous de dire que cette apparente témérité n’a été qu’une heureuse audace : le livre que nous annonçons est instructif, neuf, très intéressant ; ce n’est pas un mince mérite à M. Liard d’avoir tenu une telle gageure.

Il suffit d’ouvrir le livre et d’en parcourir quelques pages pour voir de quelles sérieuses et profondes recherches il est le fruit : pas une assertion qui ne soit justifiée par un ou plusieurs textes : les renvois au bas des pages, les passages entre guillemets qui font corps avec l’exposition sans l’interrompre ni la déparer, avertissent le lecteur qu’il a affaire à un véritable historien, qui n’affirme rien à la légère et connaît toutes les exigences de la plus sévère méthode. On s’aperçoit bientôt aussi, à la vigueur du style, à la netteté des conclusions, à la marche aisée et assurée, à l’allure résolue du développement, que l’auteur est un de ces fermes esprits qui ne s’accommodent pas de l’incertitude ou de l’à-peu-près et sont tellement épris de clarté qu’ils en prêteraient au besoin aux systèmes et aux philosophes dont ils veulent arracher les secrets. Ainsi comprise l’œuvre de l’historien prend les proportions et la valeur d’une œuvre originale : c’est presque créer, que de reconstituer avec tant de force le système d’un philosophe disparu. Enfin M. Liard, ainsi que l’attestent ses précédents