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ANALYSES. — LIARD. Descartes.

ouvrages, se rend un compte exact des tendances et de l’esprit de la science moderne, et c’est parce qu’il a cru trouver en Descartes quelque chose de ces tendances et de cet esprit qu’il nous le montre Sous un jour nouveau et découvre en lui des qualités et des mérites à côté desquels on avait souvent passé sans les soupçonner.

L’ouvrage, divisé en trois parties : la méthode, la science, la métaphysique, contient une exposition complète, la meilleure que nous possédions, de la philosophie cartésienne. Bien que l’auteur, alors même qu’il résume des théories connues, sache toujours renouveler l’intérêt du sujet par la manière ample et large dont il le traite et par la belle ordonnance des témoignages et des textes, nous se saurions ici le suivre dans tous les détails. Nous nous contenterons de détacher deux points, qui sont, de son aveu, les plus importants : la place de la métaphysique dans le système de Descartes, et la théorie de la certitude.

Le texte de Descartes qui a été pris pour épigraphe indique bien l’idée principale et originale que M. Liard a voulu mettre en lumière : « Je puis dire avec vérité que la principale règle que j’ai toujours observée en mes études a été que je n’ai jamais employé que fort peu d’heures par jour aux pensées qui occupent l’imagination, et fort peu d’heures par an à celles qui occupent l’entendement seul, » La thèse de M. Liard est en effet que Descartes est avant tout un savant, épris de mathématiques, mais plus attaché à la physique, et davantage encore à la médecine, qui est le but dernier, l’ambition suprême de ses recherches. Une telle assertion est faite pour surprendre bien des gens. Depuis que la physique de Descartes est dépassée, que les tourbillons ont été tant raillés, que sa physiologie, si profonde et si vraie en sa forme surannée, a été si peu comprise, on est accoutumé à ne voir en lui que le philosophe et le métaphysicien. À y regarder de près, cependant, la métaphysique ne serait dans l’œuvre de Descartes qu’une partie presque accessoire, ajoutée après coup, une pièce de rapport qu’on pourrait retrancher sans blessure pour le reste du système : ce serait la science, la science positive, comme on dit de notre temps, qui aurait toutes les préférences et serait la constante préoccupation du penseur.

Pourtant, il faut se garder ici de toute exagération et de toute formule trop précise, qui fausserait, en l’accusant trop nettement, la pensée de l’historien. M. Liard ne veut pas dire que la métaphysique soit, dans le système de Descartes, seulement juxtaposée à la science : Descartes les a étroitement liées entre elles : la première sert de garantie, de caution à la seconde. Cette indépendance de la science à l’égard de la métaphysique, qui est devenue pour nous un lieu commun, Descartes en a le pressentiment : il l’entrevoit, mais il ne la proclame pas encore. « Dans sa pensée, la science prise en elle-même, restreinte à son domaine véritable, est indépendante de toute considération touchant l’essence et l’origine première des choses ; elle est le fruit naturel et nécessaire de la méthode mathématique appliquée à l’explication des