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phénomènes. » Mais, une fois achevée, le philosophe ne croit pas qu’elle se suffise à elle-même : il se fait scrupule de la laisser dans cet isolement. En d’autres termes, en cherchant la science, il a rencontré la métaphysique, et il n’a pas cru pouvoir s’en détourner ; mais il ne s’y est arrêté que le moins longtemps possible. Il lui demande un point d’appui, une caution par ses déductions scientifiques : et, satisfait quand il l’a obtenue, il se hâte de la quitter pour revenir à la science pure.

Pour démontrer cette thèse, M. Liard commence par étudier la méthode : c’est le germe de toute la philosophie cartésienne ; dès 1619, elle est l’objet des méditations du philosophe. L’analyse des anciens, l’algèbre dés modernes, à un moindre degré la logique lui en ont fourni les éléments ; les Regulæ ad directionem ingenii nous la font connaître en tous ses détails. Elle a pour but la recherche des natures simplesabsolues, c’est-à-dire « des choses dont la connaissance est si claire et si distincte que l’esprit ne les puisse diviser en un plus grand nombre d’autres choses dont la connaissance soit encore plus distincte ; » elle les découvre en réduisant les composés jusqu’à ce qu’elle soit en présence de leurs éléments ultimes ; puis elle assemble ces éléments en systèmes de plus en plus complexes, suivant l’ordre même de la complexité des choses.

Ainsi définie, la méthode s’applique d’abord aux mathématiques : on sait quel parti Descartes à su en tirer. Il n’a pas, comme on le dit souvent, renouvelé la géométrie par l’algèbre, mais plutôt éclairé l’algèbre par l’intuition géométrique : plutôt encore, négligeant toutes les applications particulières de la science mathématique, il s’est attaché à découvrir une mathématique universelle, « traitant de l’ordre et des rapports en eux-mêmes, de la mesure et des proportions en elles-mêmes, abstraction faite des objets divers où cet ordre et ces rapports, cette mesure et ces proportions peuvent être réalisés : c’est l’algèbre spécieuse.

Cette mathématique universelle une fois trouvée, Descartes a hâte de l’appliquer à l’explication de l’univers : elle est l’âme de sa physique. Bien différent des philosophes qui l’avaient précédé, ce n’est plus hors des phénomènes qu’il en cherche l’explication et l’unité : il renonce à toutes les formes, à toutes les entités de la scolastique ; c’est dans les phénomènes eux-mêmes qu’il cherche et trouve cette unité ; elle est pour lui dans l’idée mathématique de l’étendue, dans cette nature simple qu’il connaît clairement et distinctement. Avec cette étendue, indéfinie, sinon infinie, sans intervalles, divisible sans limites, il va expliquer tout l’univers. « Toute ma physique, dit-il, n’est que géométrie ; toute ma physique n’est que mécanique. » À l’étendue, il faut joindre le mouvement ; on sait comment il est défini dans la physique cartésienne, et comment, en raison du plein que suppose l’étendue, « un cercle ou un anneau de corps se meuvent ensemble. » On connaît aussi les trois lois formulées par Descartes. Par là, tout le monde matériel est expliqué,